« Médias : vecteurs de l’idéologie dominante » (Union syndicale Solidaires)
Publié le 4 décembre 2008
A l’occasion de son Congrès qui s’est tenu du 3 au 5 juin 2008 à Saint-Jean-de-Monts en Vendée, l’Union syndicale Solidaires a introduit dans ses orientations et revendications un long chapitre sur les médias. Nous le publions ici intégralement (avec l’autorisation du bureau de l’Union) [1]. (Acrimed)
Médias : vecteurs de l’idéologie dominante
L’emprise médiatique sur le quotidien est de plus en plus présente dans notre société. Lire la presse ou passer plusieurs heures devant la télévision ne peut qu’avoir une influence sur le comportement général, les choix de mode de vie et de consommation quotidienne des individus. Il s’agit bien de formater les esprits pour réduire leurs capacités d’analyse autonome et leur faire admettre plus facilement les choix politiques comme de simples réponses techniques et sans alternatives. Les médias dominants formatent également le paysage politique en le personnalisant à outrance. Ils participent ainsi d’une simplification dommageable pour la démocratie. Dans le même temps, les instituts de sondage sont aussi vecteurs de l’idéologie dominante.
Pour remplir une fonction démocratique, les médias devraient être diversifiés et soustraits à l’emprise directe des pouvoirs économiques et politiques. De par leur position dominante, ce sont avant tout les médias “ établis ” qui “ forgent l’opinion ”. Or, du point de vue économique comme éditorialiste, les principales entreprises médiatiques sont des vecteurs de l’idéologie dominante et des acteurs de la mondialisation néolibérale – ceci au mépris de la diversité des opinions et des aspirations de leurs lecteurs/trices, auditeurs/trices et téléspectateurs/trices. Pour autant, si de part la place qu’ils occupent dans la vie quotidienne des individus, les médias dominants ont une capacité d’influence significative (notamment par la voie audiovisuelle) sur leur comportement général, leur mode de vie et de consommation quotidienne, celle–ci n’est certainement pas absolue. L’exemple de la campagne référendaire sur le Projet de Traité constitutionnel européen en a été une parfaite illustration. Les médias sont donc souvent moins puissants qu’on pourrait le croire et la surface de leur pouvoir est aussi la conséquence du niveau de concessions que nous nous sommes finalement imposés nous mêmes jusqu’ici.
Malgré une apparente surabondance de médias, la concentration de ceux-ci entre les mains d’une poignée de groupes industriels et financiers ne cesse de s’accentuer. Cette concentration intervient non seulement au sein de chacun des secteurs concernés (télévision, presse, édition…) mais aussi de façon transversale de par le développement de grands groupes multimédia eux-mêmes intégrés à de puissants groupes industriels (Lagardère, Bouygues, Bolloré, Dassault …). Les conséquences de cette évolution sont toutes aussi lourdes pour les salarié-e-s concernés que dangereuses pour le pluralisme et la qualité de l’information. Ces rachats ne peuvent que renforcer un contexte général où dérives déontologiques et pressions sur le contenu se multiplient. Pour l’Union syndicale Solidaires il est manifeste que les propriétaires des entreprises qui accaparent les médias et les « instituts de sondages » ne le font pas pour améliorer la diversité éditorialiste et favoriser le débat démocratique mais plus sûrement pour mieux imposer aux esprits comme inéluctables les contre-réformes sur mesure que lui tricote le gouvernement.
Même si ce constat n’est pas nouveau, il a été exacerbé ces derniers mois sous l’effet d’une convergence d’intérêts entre le nouveau chef de l’Etat et celles et ceux qui détiennent les entreprises médiatiques. Les interventions intempestives, les pressions insistantes sur les patrons de chaînes, de radios, de journaux ou d’agences de presse et les placements de proches de N. Sarkozy, sont devenus des pratiques courantes. Dans le même temps, jamais l’information n’a été aussi uniformisée, calibrée dans un seul sens : celui du conformisme, de l’obéissance au patronat et de servilité à l’égard du pouvoir politique.
Le secteur public de l’audiovisuel ne fait pas exception. Face aux chaînes et stations privées, il se borne à la concurrence dans la course à l’audience instantanée. L’annonce de la suppression de la publicité doit entraîner un débat sur la finalité et le fonctionnement du service public de l’audiovisuel.
Aujourd’hui, en France comme dans la plupart des pays européens où régnait une certaine liberté des médias, la multiplication des pressions économiques, sociales et politiques, la marchandisation de l’information, le développement de l’autocensure rédactionnelle par des directions qui sont « dans la ligne », les dérives déontologiques, la remise en cause de la protection des sources, la précarisation de nombreux/ses salarié-e-s des médias, journalistes et non journalistes… font peser une réelle menace sur le droit pour tout-e citoyen-ne à pouvoir bénéficier d’une information pluraliste, indépendante et fiable.
Au nom du respect de ce droit fondamental, notre Union syndicale porte un certain nombre de revendications relatives aux médias élaborées en lien avec ses organisations membres directement impliquées dans les champs concernés et avec divers réseaux engagés sur ces questions, tels l’Acrimed (Action critique médias) et les Etats généraux pour une information et des médias pluralistes.
A ce titre, l’Union syndicale Solidaires revendique notamment l’adoption de dispositions visant :
- à lutter contre les effets conjoints de la concentration et de la financiarisation des médias avec en particulier un renforcement de la législation contre la concentration dans les médias ; une refondation des aides publiques à la presse, pour que celles-ci bénéficient en priorité aux médias sans but lucratif, aux médias d’information généraliste et à faibles ressources publicitaires… ;
- à soustraire les médias aux différentes pressions et chantages d’où qu’ils viennent avec en particulier l’interdiction pour des groupes bénéficiant de marchés publics de posséder des entreprises médiatiques ; la création d’une nouvelle instance de régulation des médias, quel que soit leur support de diffusion de l’information, plus démocratique que l’actuel CSA ; l’adoption d’une loi garantissant l’indépendance des rédactions et l’attribution de nouveaux droits collectifs aux rédactions et aux syndicats des salarié-e-s des entreprises médiatiques… ;
- à préserver et à développer un pôle public des médias et de l’AFP, avec en particulier un financement indépendant de la publicité à la hauteur de ses missions et des garanties démocratiques qui le soustraient au chantage politique des gouvernants ; l’arrêt de la concession des chaînes privées à des groupes dépendants de marchés publics ; la constitution d’un pôle public des médias… ;
- à favoriser l’essor des médias associatifs et à doter les médias à but non lucratif du statut et des moyens dont ils ont besoin. Les principales revendications portées par ces “ médias du tiers secteur ” doivent être satisfaites, en particulier leur représentation dans toutes les instances concernant les médias ; la pleine reconnaissance professionnelle des personnes contribuant à les faire vivre ; la protection du quota attribué aux fréquences associatives radiophoniques et l’instauration d’un quota équitable de fréquences hertziennes pour les télévisions associatives aux plans local comme national ; l’instauration d’aides spécifiques à la diffusion et la révision des conditions d’accès aux points de vente pour la presse écrite et l’édition indépendante et sans but lucratif ; la mise en oeuvre de mesures visant au développement d’un Internet solidaire et non marchand et la promotion des logiciels libres et des formats ouverts…
- à conditionner les aides publiques à la presse par l’adoption d’une charte sociale visant à résorber la précarité des salarié-e-s des médias concernés.
L’Union syndicale Solidaires et les organisations qui la composent sont confrontées aux problèmes que soulève leur médiatisation. Pour permettre une appropriation collective de cette question, l’Union syndicale Solidaires organisera un débat sur les conditions de cette expression.
Notes
[1] En supprimant la numérotation des paragraphes.
Une critique des médias paranoïaque et sacrilège ?
Publié le 12 novembre 2008 par Henri Maler
Le Lundi de 11h à 12h, France culture diffuse « L’économie en questions », une émission produite et animée par Caroline Broué et Olivier Pastré [1].
Le 3 novembre 2008, Frédéric Lordon [2] était l’invité du jour. Plutôt bien accueilli. Mais à deux reprises, il fut question des médias…
… On entendit alors des réactions d’autodéfense de la position écrasante occupée par la vision « orthodoxe » de l’économie dans les médias qui la soutiennent. Des réactions d’autant plus significatives qu’on les entend dans une émission qui, à la différence de tant d’autres, laisse largement la parole à l’invité, fût-il, comme dans le cas présent, un « hétérodoxe ». La vacuité (quand ce n’est pas la grossièreté) des arguments opposés à Frédéric Lordon n’en ressort que mieux.
Tout se passe comme s’il existait, s’agissant de la critique des médias, particulièrement dans les médias, une ligne invisible qu’il est interdit de franchir sans déclencher les signaux d’alerte maximum.
… A commencer par l’agitation de quelques chiffons rouges : les accusations inusables de « paranoïa » et de « théorie du complot », destinées – de préférence sans le moindre argument – à disqualifier l’interlocuteur et à tenter de le dissuader d’aller plus loin.
Cette contestation France-cultivée et « rigoureuse » du diagnostic proposé par Frédéric Lordon mérite qu’on s’y arrête et, pour cela, qu’on la transcrive.
Paranoïaques et complotistes ?
Ainsi, il suffit que Frédéric Lordon compare les économistes qui « voulaient réintroduire dans le débat public de politique économique les différences premières et pas simplement les différences secondes » à une « réserve d’Iroquois parqués dans un coin », pour que son ironie mordante déclenche aussitôt cette réplique et cet échange :
- Caroline Broué : – « Frédéric Lordon, vous dites que vous avez été relégués dans un coin bien précis et que vous étiez peu sollicités, en tout cas jusqu’ à présent. Est-ce que ce n’est pas le complexe de celui qu’on sollicite moins ? Est-ce que ce n’est pas la théorie du complot ou de la paranoïa de votre part de dire que votre remarque, votre critique qui peut être vue comme une critique radicale a été peu entendue, voire jugée illégitime, à vos yeux ? »
- Frédéric Lordon : – « Ecoutez… On a toujours la solution, effectivement, d’en venir aux hypothèses soit de la paranoïa soit du délire de l’artiste maudit qui s’estime criant dans le désert et écouté de personne. A la vérité, il faudrait faire… Mais là ce serait un autre chantier : un chantier d’analyse du fonctionnement des médias et de tous les médiateurs qui structurent le débat public. Il y aurait des indicateurs statistiques extrêmement simples à reprendre. Vous prenez deux grandes émissions de débat public et de débat économique – les tranches d’information du matin (de France Inter, celle de France Culture, etc.) et vous faites la statistique de l’origine des invités. Je peux vous dire qu’à 90%…
- Caroline Broué : – « Origine professionnelle, s’entend ? »
- Frédéric Lordon : – « Non : origine idéologique et intellectuelle. A 90%, vous avez droit au “Cercle des économistes”, vous avez droit à la fondation “Terra Nova”… ».
Interruption d’Olivier Pastré :
- Olivier Pastré (membre du « Cercle des économistes » lui-même) : – « Ce n’est pas un péché, hein ? »
- Frédéric Lordon : – « Je n’ai pas dit que c’était un péché. Je suis en train de faire une analyse positive et objective des choses en réponse à la question qui m’a a été posée ‘D’où venaient les gens qui avaient accès à l’espace public et au débat public’. Je dis qu’ils venaient de ces horizons : le “Cercle des économistes”, l’ex-“Fondation Saint-Simon”, muée en “République des Idées”, transformée en “Terra Nova”, et cetera, et cetera. Donc quand un olibrius dans mon genre… »
Nouvelle interruption d’Olivier Pastré :
De la rigueur avant toutes choses…
- Olivier Pastré : – « Je plaide pour “Les matins de France Culture” pour y avoir participé (et Caroline Broué connaît mieux cette émission que moi). Si vous faites votre statistique de manière rigoureuse , vous verrez que c’était beaucoup plus divers en termes d’invitations sur les sujets économiques… »
- Caroline Broué (tentant de l’interrompre) : – « De toute façon, on ne va pas faire.. » Quoi donc ? On le saura plus loin…
- Olivier Pastré : – « … À part France Culture, tout le reste, je suis assez d’accord avec vous. »
Tout le reste, à part France Culture ?
Pour « tout le reste », peut-être Olivier Pastré pensait-il à France Inter, par exemple, où chantent, quasiment à l’unisson, « Les voix enchanteresses de l’économie », analysées ici même.
Quant aux « Matins de France Culture », un rapide recensement des économistes invités entre le 1er janvier 2004 et le 3 novembre 2008, fournit de précieuses indications.
Ont été invités, du « Cercle des économistes », Daniel Cohen (9 fois), Elie Cohen (4 fois), Patrick Artus (4 fois), Pierre Cahuc (3 fois), Jean Pisani-Ferry (1 fois), Jacques Mistral (1 fois), ainsi que David Thesmar – Prix Le Monde-Cercle des économistes – 1 fois). Soit 20 invitations.
Auxquels il faut ajouter les dissidents patentés que sont Jean-Paul Fitoussi (4 fois), Nicolas Baverez (4 fois), Jean-Claude Casanova (membre du Conseil économique et social, puis du Conseil d’analyse de la société, 3 fois), Philippe Chalmin (2 fois), Thomas Philippon (2 fois), ainsi que, pour 1 invitation seulement, Thierry de Montbrial, Philippe Askénazy, Jacques Delpla, Erik Izraelewicz, et cetera. Soit au moins 19 invitations.
Sans compter la présence de ces redoutables adversaires de l’économie néolibérale que sont, sans être à proprement parler des économistes, Pascal Lamy (2 fois) et Alain Minc, ainsi que les George Soros, Denis Olivennes, Michel-Edouard Leclerc, Jean Peyrelevade (3 fois), Louis Schweitzer, Laurence Parisot, etc.
Face à eux, Frédéric Lordon (invité une première fois le 5 mai 2005) et Bernard Maris (que l’on hésite à classer parmi les « hétérodoxes ») : soit 2 noms et 3 invitations .
Ce recensement est tellement incomplet qu’il sous-évalue le nombre d’invités qui représentent les variétés de l’ « orthodoxie » économique. Nous promettons donc à Olivier Pastré d’effectuer une analyse plus rigoureuse, pour que notre article sur les voix enchanteresses de l’économie sur France Inter soit complété par un article sur les voix non moins enchanteresses entendues sur France Culture.
Economes en disqualifications psychiatriques, nous n’essaierons pas ici de diagnostiquer à quelle catégorie de délire s’apparente le déni de réalité qui permet de rester aveugle à la domination et de détecter partout des paranoïaques et des complotistes. D’ailleurs Caroline Broué clôt la parenthèse en déclarant sans objet la question qu’elle a elle-même posée !
- Caroline Broué : – « On ne va pas faire ici les statistiques… Ce qui est important, puisque vous avez la parole ici et pendant plus de ¾ d’heure, c’est qu’on s’arrête à votre diagnostic et à vos propositions […] »
Fin ? C’était sans compter avec un nouvel « incident ».
Profanateurs et sacrilèges ?
Quelques minutes plus tard, à l’occasion d’une réponse à une question sur les bienfaits éventuels des crises économiques, Frédéric Lordon évoque ce que l’on pourrait appeler « les mutations de la pensée de Laurent Joffrin ». Olivier Pastré et Caroline Boué sortent aussitôt les boucliers pour protéger l’immunité du haut clergé médiatique.
- Caroline Broué : – « Pourquoi vouloir en finir avec les crises qui, d’une certaine façon, font fonctionner le système ? Ma question est volontairement provocatrice. »
- Frédéric Lordon : – « J’avais compris… J’adore le “Vive la crise” de La Tribune qui offre une postérité à Laurent Joffrin dont manifestement il ne veut plus puisque dans la catégorie des tourne-casaques et des retournements de veste, je pense que Laurent Joffrin a une médaille à revendiquer vraiment très haut la main. »
- Olivier Pastré (l’interrompant) : – « Comme il n’est pas là pour vous répondre… C’est facile. »
- Frédéric Lordon : – « Oui. “Comme il n’est pas là”. Bien sûr, “c’est facile”. Mais, vous savez, quand il écrit ses éditoriaux, moi je ne suis pas là non plus. Donc je ne vois pas pourquoi je me priverais du plaisir de le dire. »
- Caroline Broué : – « Sortons de ces critiques ad hominem. »
Pourquoi faudrait-il « sortir » des critiques ad hominem, quand elles ne sont ni injurieuses ni fallacieuses ? Viser un adversaire en lui opposant ses propres paroles ou contester dans la personne non des caractéristiques physiques ou psychologiques, mais une position ou une fonction sociale qui éclaire ses prises de position est parfaitement légitime, même si cette critique ne dispense pas d’examiner les arguments eux-mêmes. Pourquoi faudrait-il taire le nom et les prises de position d’éditorialistes ou de chroniqueurs qui signent quasi quotidiennement leurs avis autorisés et, pour leur donner du poids, jouent de leur notoriété ? Les éminences médiatiques ne se privent pas de critiques ad hominem. Pourquoi faudrait-il s’en priver quand ce sont elles qui sont en question ? Et pourquoi faudrait-il les évoquer seulement en leur présence, alors qu’elles sont partout et que ceux qu’ils caricaturent ne sont nulle part dans les médias dominants ou presque ?
Une fois de plus, la preuve est faite qu’il est (presque) permis de tout dire et, le cas échéant sur n’importe qui (ou n’importe quoi), pour peu qu’il ne s’agisse ni du haut clergé médiatique, ni de ses économistes patentés, ni des médias qui les accueillent.
Henri Maler
Notes
[1] Présentation de l’émission sur le site de France Culture : « L’objectif de l’émission chaque lundi matin est de questionner l’économie pour tenter de comprendre l’évolution des sociétés contemporaines, de la rapprocher des préoccupations des citoyens en mettant en évidence les facteurs sociaux, de montrer son implication dans les choix des pouvoirs publics et dans les échanges internationaux de toutes natures, sans la diaboliser ni la sacraliser. A travers l’apport d’informations et les analyses des experts, il s’agit de fournir des éléments de réflexion pour juger des grands enjeux en cours ou à venir. »
[2] Economiste, directeur de recherches au CNRS et chercheur au Centre de sociologie européenne (CSE), auteur de Jusqu’à quand ? Pour en finir avec les crises financières (Editions Raisons d’agir, novembre 2008)
Lire : La fabrication du consentement, de Noam Chomsky et Edward Herman (un extrait)
Publié le 26 novembre 2008
L’ouvrage de Noam Chomsky et Edward Herman, Manufacturing consent, vient de reparaître dans sa version intégrale sous le titre La fabrication du consentement : une nouvelle édition revue et actualisée, une nouvelle traduction [1] aux Editions Agone.
On lira ci-dessous, précédé d’une rapide présentation du livre, de très larges extraits (reproduits avec l’autorisation de l’éditeur) de l’analyse de l’un des filtres du « modèle de propagande » proposé par les auteurs : le filtre constitué par les sources d’information.
Présentation de l’éditeur
« Dans cet ouvrage, désormais un classique outre-Atlantique (1988, rééd. 2002), les auteurs présentent leur « modèle de propagande », véritable outil d’analyse et de compréhension de la manière dont fonctionnent les médias dominants. Ils font la lumière sur la tendance lourde à ne travailler que dans le cadre de limites définies et à relayer, pour l’essentiel, les informations fournies par les élites économiques et politiques, les amenant ainsi à participer plus ou moins consciemment à la mise en place d’une propagande idéologique destinée à servir les intérêts des mêmes élites.
En disséquant les traitements médiatiques réservés à divers événements ou phénomènes historiques et politiques (communisme et anticommunisme, conflits et révolutions en Amérique Latine, guerres du Vietnam et du Cambodge, entre autres), ils mettent à jour des facteurs structurels qu’ils considèrent comme seuls susceptibles de rendre compte des comportements systématiques des principaux médias et des modes de traitement qu’ils réservent à l’information. Ces facteurs structurels dessinent une grille qui révèle presque à coup sûr comment l’inscription des entreprises médiatiques dans le cadre de l’économie de marché en fait la propriété d’individus ou d’entreprises dont l’intérêt est exclusivement de faire du profit ; et comment elles dépendent, d’un point de vue financier, de leurs clients annonceurs publicitaires et, du point de vue des sources d’information, des administrations publiques et des grands groupes industriels. »
En attendant de proposer ici même une présentation plus détaillée, on se bornera à ajouter que La fabrique du consentement propose une modélisation de la propagande – ce que les auteurs appellent « Le modèle de propagande » – qui repose sur l’identification de cinq filtres : 1. Tailles, actionnariat, orientation lucrative – 2. La régulation par la publicité – 3. Les sources d’information – 4. Contrefeux et autres moyens de pressions 5. L’anticommunisme.
Extrait (sous-titres d’Acrimed)
Chapitre I. Un modèle de propagande 3. Troisième filtre : Les sources d’information
Les médias sont en symbiose avec de puissantes sources d’information pour des raisons économiques et du fait d’intérêts partagés. Ils ont impérativement besoin d’un flux continu et stable d’information brute. Ils sont confrontés à une demande d’information quotidienne et à une grille horaire qu’ils doivent remplir. Pour autant, ils ne peuvent se payer le luxe de maintenir en permanence reporters et caméras partout où un événement important peut se produire. Les limites de leurs budgets leur imposent donc de concentrer leurs moyens là où les événements significatifs sont les plus fréquents, où abondent fuites et rumeurs, et où se tiennent régulièrement des conférences de presse.
Des sources officielles
La Maison-Blanche, le Pentagone, et le département d’État à Washington sont des épicentres de ce type d’activités. Au niveau local, la mairie et le siège de la police jouent le même rôle. Les grandes entreprises et sociétés commerciales sont également des producteurs réguliers et crédibles d’informations jugées dignes d’être publiées. Ces bureaucraties produisent en masse un matériel idéal pour alimenter la demande d’un flux régulier et planifié d’information, qui est celle des salles de rédaction : selon ce « principe d’affinité bureaucratique, seules d’autres bureaucraties peuvent satisfaire aux besoins d’une bureaucratie de l’information [2] ».
Les sources proches du gouvernement ou des milieux d’affaires ont aussi le grand avantage d’être reconnues et crédibles sur la seule base de leurs statut et prestige – ce qui est très important pour les médias. Mark Fishman observe que « les travailleurs de l’info sont prédisposés à prendre les déclarations des bureaucrates pour argent comptant car ils participent au renforcement d’un ordre normatif accréditant les experts officiels de la société. Les journalistes se comportent comme si les personnes autorisées savaient ce qu’il est de leur responsabilité professionnelle de savoir. […] En particulier, un journaliste tiendra les allégations d’un responsable, non pour de simples allégations, mais pour des faits crédibles et établis. Cela revient à une division morale du travail : les responsables connaissent et communiquent les faits, les journalistes les relaient pour l’essentiel [3] ».
Autre raison du poids considérable accordé aux sources officielles : les médias prétendent dispenser « objectivement » l’information. Afin de préserver cette image d’objectivité, mais surtout pour se mettre à l’abri de toute accusation de partialité et d’éventuelles poursuites pour diffamation, ils ont besoin de sources qui puissent être données comme a priori au-dessus de tout soupçon [4]. C’est aussi une question de coût : tirer des informations de sources tenues pour crédibles réduit d’autant les frais d’enquêtes ; tandis que les autres informations impliquent de minutieux recoupements et des recherches coûteuses.
La taille des services de communication des bureaucraties gouvernementales comme privées qui sont les sources primaires d’information est immense ; et elle assure un accès privilégié aux médias. Le service de presse du Pentagone, par exemple, emploie plusieurs dizaines de milliers de personnes et dépense annuellement des centaines de millions de dollars. En comparaison, les groupes ou individus dissidents sont des nains – pris individuellement mais également si on additionne les capacités de communication de toutes les organisations de ce type. Pour 1979-1980, au cours d’une très éphémère période d’ouverture (bien révolue), l’US Air Force (USAF) détailla l’ensemble de sa communication, soit :
- 140 journaux, tirant à 690 000 exemplaires par semaine ;
- Airman Magazine, mensuel tirant à 125 000 exemplaires ;
- 34 radios et 17 chaînes de télévision émettant principalement à l’étranger ;
- 45 000 communiqués de QG et d’unités ;
- 615 000 communiqués concernant des personnels [5] ;
- 6 600 interviews avec des médias d’information ;
- 3 200 conférences de presse ;
- 500 vols de repérage pour des journalistes ;
- 50 rencontres avec des rédactions ;
- 11 000 discours [6] .
Mais cela exclut encore de vastes domaines où s’exercent aussi les efforts d’information du public de l’USAF. En 1970, le sénateur J. W. Fulbright écrivait qu’en 1968 les services d’information de l’USAF employaient à plein temps 1 305 personnes, auxquels s’ajoutaient plusieurs milliers d’autres ayant « des fonctions de représentation parallèlement à d’autres responsabilités [7] ». À l’époque, l’USAF proposait aux télévisions une séquence filmée par semaine et enregistrait un programme destiné à être diffusé trois fois par semaine par 1 139 stations de radio. Elle produisit en outre cent quarante-huit films de cinéma, dont vingt-quatre furent distribués pour le grand public [8]. Selon des données plus récentes, l’USAF publiait deux cent soixante-dix-sept journaux en 1987 contre cent quarante en 1979 [9].
Encore ne s’agit-il là que de l’armée de l’air. Les trois autres armes sont dotées de moyens tout aussi énormes, auxquels s’ajoute un programme global d’information tous publics sous la responsabilité d’un secrétaire-adjoint à la Défense pour les relations publiques au Pentagone. En 1971, une enquête de l’Armed Forces Journal révéla que le Pentagone éditait au total trois cent soixante et onze magazines, dont le coût de publication se chiffrait à quelque cinquante-sept millions de dollars, soit un budget représentant seize fois celui du plus grand éditeur américain. Lors d’une remise à jour, en 1982, le même journal des forces armées indiquait que le Pentagone publiait 1 203 périodiques [10].
Pour donner une meilleure idée, comparons avec les moyens de l’American Friends Service Committee (AFSC) et du National Council of the Churches of Christ (NCC), soit deux des plus grandes ONG qui font entendre un point de vue défiant celui du Pentagone. Le secrétariat central des services d’information de l’AFSC disposait pour l’année 1984-1985 d’un budget inférieur à cinq cent mille dollars, pour une équipe de onze personnes. Annuellement, il publiait environ deux cents communiqués de presse, organisait environ trente conférences de presse et produisait un film et deux ou trois montages audiovisuels. Il ne proposait aucune séquence filmée ni programme radio préenregistrés aux médias. Le bureau d’information du NCC dispose, lui, d’un budget de quelque trois cent cinquante mille dollars, produit une centaine de communiqués et quatre conférences de presse par an [11]. Le ratio des communiqués de presse pour les deux ONG par rapport à l’USAF est de un pour cinquante (ou, si l’on compte aussi les communiqués sur les personnels de l’USAF, de un pour deux mille deux cents) ; celui des conférences de presse est de un pour quatre-vingt-quatorze – mais si on pouvait tenir compte de l’ensemble des services de communication du Pentagone, le différentiel se creuserait encore considérablement.
En matière de relations publiques et de propagande, seul le monde des affaires dispose des moyens de rivaliser avec le Pentagone et les autres services gouvernementaux. Ainsi, à la différence de l’AFSC et du NCC, Mobil Oil peut-il se permettre de dépenser des dizaines de millions de dollars pour acheter de l’espace dans différents médias et imposer ses vues [12].
En 1980, le budget relations publiques de Mobil Oil s’élevait à vingt et un millions de dollars et employait soixante-treize personnes. Entre 1973 et 1981, ce service produisit plus d’une douzaine de documentaires télévisés sur des sujets comme les fluctuations du prix de l’essence, allant jusqu’à payer des journalistes vedettes de la télévision pour interviewer les responsables de Mobil entre autres experts. Fréquemment diffusés à la télévision, ces documentaires l’étaient généralement sans aucune mention de leur financement par Mobil.
Le nombre d’entreprises qui disposent de budgets de communication et de lobbying excédant ceux de l’AFSC et du NCC se chiffre en centaines voire en milliers. Un regroupement d’entreprises comme la Chambre de commerce des États-Unis se prévalait d’un budget de recherche, communication et activités politiques d’environ soixante-cinq millions de dollars [13] . À partir de 1980, la Chambre publia le Nation’s Business, tirant à 1,3 million d’exemplaires, et un hebdomadaire comptant 740 000 abonnés. Elle produisait en outre une émission hebdomadaire dont quatre cents stations de radio assuraient la diffusion et sa propre émission de débats télévisés, retransmise par cent vingt-huit chaînes commerciales [14].
Mis à part ce célèbre organisme, des milliers d’autres chambres de commerce, régionales ou fédérales, et d’associations commerciales se sont engagées dans des activités de promotion et de lobbying. Le réseau qu’elles ont tissé avec les industriels « compte bien plus de 150 000 professionnels [15] » et les moyens qu’il réunit sont proportionnels aux revenus et bénéfices de l’industrie et au retour sur investissement des campagnes promotionnelles et du lobbying. Les profits avant impôt de l’industrie pour 1985 étaient d’environ 295,5 milliards de dollars. Lorsque la situation politique inquiète les milieux d’affaires, comme ce fut le cas dans les années 1970, ils ne manquent assurément pas de moyens de faire face. Les seuls fonds consacrés à la promotion de l’industrie et de ses objectifs sont passés de 305 millions de dollars en 1975 à 650 millions en 1980 [16]. Les campagnes directes par courriers, sous forme de concours et autres prospectus, la distribution de films éducatifs, de brochures, de pamphlets, les dépenses dans le cadre d’initiatives populaires et de référendums et les investissements dans les sondages, le lobbying politique et les think tanks ont suivi la même progression. Additionnés, les investissements promotionnels des entreprises et de leurs associations commerciales dans la publicité politique et visant les citoyens de base étaient déjà estimés à un milliard de dollars par an en 1978, et avaient passé le cap des 1,6 milliard de dollars en 1984 [17].
Des médias subventionnés
Afin de renforcer leur prédominance comme sources d’information, les fabricants gouvernementaux et commerciaux d’information se donnent beaucoup de peine pour faciliter la vie des médias. Ils mettent à leur disposition des locaux, font parvenir à l’avance aux journalistes les textes des discours et des rapports, ajustent les horaires des conférences de presse en fonction des délais de bouclage [18] ; rédigent leurs communiqués dans un langage qui peut être facilement repris ; veillent à la mise en scène de leurs conférences de presse et de leurs séances photo [19]. C’est le travail des chargés de communication que de « répondre aux besoins et à la temporalité journalistique en leur livrant un matériel préparé clés en main par leurs services [20] ».
Dans les faits, les grandes bureaucraties des puissants subventionnent les médias et s’y assurent un accès privilégié en réduisant les coûts des nouvelles brutes et de production de l’information. Elles deviennent ainsi des sources d’information « de routine » et ont libre accès aux médias tandis que les autres sources doivent se battre pour obtenir un accès et peuvent être ignorées pour cause d’arbitraire des gate-keepers [portiers de l’information].
S’agissant des largesses du Pentagone et du bureau de relations publiques du département d’État, ces subventions aux médias sortent de la poche du contribuable de telle sorte qu’en fin de compte ce dernier paye pour être endoctriné dans l’intérêt de puissants groupes d’intérêts comme ceux qui bénéficient de contrats d’armement et autres sponsors du terrorisme d’État.
Du fait des services qu’ils rendent, de contacts quotidiens et de leur dépendance réciproque, les puissants peuvent compter sur des relations personnelles, recourir à la carotte et au bâton pour influencer et contrôler un peu plus les médias. Ceux-ci se sentiront obligés de colporter les nouvelles les plus douteuses et de taire les critiques pour ne pas froisser leurs sources ou ternir des relations aussi privilégiées.
Le 16 janvier 1986, l’American Friends Service Committee publia une dépêche indiquant qu’on avait dénombré, entre 1965 et 1977, trois cent quatre-vingt-un accidents graves et « incidents » liés aux manipulations et fonctionnement d’armes nucléaires, un chiffre nettement supérieur à celui officiellement avancé jusque-là. Ces informations avaient été obtenues grâce à une requête s’appuyant sur le Freedom of Information Act. Les médias couvrirent ce sujet brûlant uniquement à travers la réponse des porte-parole de la marine américaine, qui firent de leur mieux pour minorer la portée significative de cette découverte et occulter ou noyer dans des généralités la majorité des faits mis à jour. Ainsi ce titre – particulièrement significatif – d’un article, « La Marine dresse la liste des dysfonctionnements nucléaires : selon ses services, aucun des six cent trente incidents ne mettait la population en danger » (Washington Post, 16.01.86).
Il est assez difficile, même lorsqu’elles soutiennent des énormités, de contredire les autorités dont on tire les mensonges quotidiens qui alimentent le journal du soir. Et les sources critiques peuvent être écartées non seulement parce qu’elles sont moins accessibles et plus difficilement vérifiables mais aussi parce qu’on pourrait froisser les sources primaires – qui pourraient même se faire menaçantes.
Ces sources puissantes peuvent aussi utiliser leur prestige et leur importance comme un levier pour interdire aux critiques l’accès aux médias. Le département de la Défense, par exemple, refusait de prendre part à des débats radiophoniques à propos de questions militaires si des experts du Center for Defense Information comptaient parmi les invités [21]. Elliott Abrams [22] refusait d’apparaître au programme d’une série de conférences sur les droits humains en Amérique centrale – à la Kennedy School of Government de l’université de Harvard – si l’ancien ambassadeur Robert White n’était pas exclu de la liste des intervenants. Enseignant à Harvard et superviseur l’émission, Harvey Mansfield déclara que, de toutes façons, inviter Robert White avait été une erreur car « c’était un représentant de la gauche ultra » tandis que le forum avait pour objet de lancer un débat « entre libéraux et conservateurs » [23]. La journaliste Claire Sterling refusait de participer à des débats télévisés au sujet de la « filière bulgare » où ses critiques auraient eu un droit de parole [24]. Dans ces deux derniers cas, les autorités et experts officiels parvinrent à monopoliser l’accès à l’espace public par la menace.
Plus essentiellement, ces sources puissantes tirent avantage des routines médiatiques (l’accoutumance et la dépendance à leur égard) pour pousser les médias à suivre un agenda et un angle prédéfini [25]– ainsi que nous pourrons le voir en détail dans les chapitres suivants. Ce mode de management consiste à inonder les médias de nouvelles qui peuvent servir à imposer une ligne particulière ou un angle spécifique (le Nicaragua supposé livrer illégalement des armes aux rebelles salvadoriens) ; ou, dans d’autres cas, pour concurrencer les nouvelles indésirables, voire les occulter purement et simplement (comme la prétendue livraison de Mig au Nicaragua la semaine des élections nicaraguayennes de 1984). On trouve trace de ce type de techniques au moins à partir du Committee on Public Information, chargé de coordonner la propagande durant la Première Guerre Mondiale : celui-ci « découvrit, en 1917-1918, que l’un des meilleurs moyens de contrôler l’information était de saturer les canaux de “faits” ou de tout ce qui pouvait ressembler à des informations officielles [26] ».
Des experts
La relation entre pouvoir et sources d’information dépasse le simple approvisionnement en nouvelles quotidiennes par les autorités et les entreprises incluant la livraison d’« experts ». La prédominance des sources officielles demeure vulnérable face à l’existence de sources non-officielles extrêmement respectables qui délivrent les points de vue dissidents avec une grande autorité. Le problème est contrôlé grâce à « la cooptation des experts [27] » – c’est-à-dire en les rémunérant comme consultants, en finançant leurs recherches, en organisant des think tanks qui les emploieront directement et aideront à diffuser leur message. De la sorte, on peut créer des biais structurels en orientant la mise à disposition d’experts dans la direction souhaitée par les autorités et « le marché » [28]. Comme le soulignait Henry Kissinger, dans cet « âge des experts » la « communauté » des experts est constituée par « ceux qui ont un intérêt particulier dans les opinions communément admises, élaborant et définissant ces consensus à un haut niveau ; c’est ce qui en fait, en dernière analyse, des experts » [29]. Une telle évolution est tout à fait logique pour permettre aux opinions les plus communément admises (à savoir celles qui servent au mieux les intérêts des élites) de continuer à prévaloir.
Cette technique de création d’une communauté d’experts a été mise en œuvre en toute connaissance de cause et à grande échelle. En 1972, le juge Lewis Powell (qui devait plus tard être nommé à la Cour suprême) écrivit un mémo à l’attention de la Chambre de commerce américaine, pressant les milieux d’affaires « d’acheter les universitaires les plus réputés du pays afin de crédibiliser les recherches des entreprises et de leur donner davantage de poids sur les campus universitaires [30] ». On les achète et on s’assure que – selon les propres termes d’Edwin Feulner, de la Heritage Foundation – le domaine des politiques publiques soit « inondé de solides études scientifiques » aux conclusions adéquates. Dressant le parallèle avec Procter & Gamble vendant du dentifrice, Feulner expliquait qu’on peut « le vendre et le revendre jour après jour, en gardant simplement le produit toujours présent à l’esprit du consommateur ». Par un effort commercial, notamment en disséminant les idées appropriées dans « des milliers de journaux différents », on peut limiter le débat « à des limites convenables » [31].
Conformément à cette formule, tout au long des années 1970 et au début des années 1980, on mit en place une série d’institutions, en réactivant de plus anciennes au passage, à seule fin d’imposer la propagande des industriels. Des milliers d’intellectuels furent attachés à ces institutions, qui financèrent leurs recherches et assurèrent la diffusion de leurs analyses dans les médias au travers d’un système de propagande très élaboré. Leur financement par les industriels et l’orientation clairement idéologique de la démarche d’ensemble ne nuisaient pas le moins du monde à la crédibilité de tels « experts » : bien au contraire, leurs soutiens financiers et la mise en exergue de leurs idées les catapultèrent dans les médias [32].
[…]
Enfin, les médias produisent aussi leurs propres « experts », lesquels ne font en général que reprendre à leur compte la version officielle. John Barron [33] et Claire Sterling devinrent des références maison faisant autorité en matière de KGB et de terrorisme dès que le Reader’s Digest eut financé, publié et vendu leurs ouvrages à grand renfort de publicité. De même le transfuge soviétique Arkady Shevchenko fut-il décrété expert en armement et services secrets soviétiques aussitôt que Time, ABC-TV et le New York Times eurent décidé de le tenir pour tel (en dépit d’une crédibilité sévèrement ternie) [34]. En mettant massivement en avant ces prosélytes de la version officielle, les médias consacrent leur statut et les qualifient indiscutablement pour donner leur opinion et leurs analyses [35]
Autre catégorie d’experts dont l’omniprésence tient en grande part à leur servilité au pouvoir : les anciens radicaux pour qui, un beau jour, « tout est devenu clair »… Les raisons qui les ont fait basculer d’une divinité à l’autre, de Staline ou Mao à Reagan et à la « libre entreprise » sont diverses. Mais aux yeux de l’industrie de l’information, la raison de ce changement tient seulement à ce qu’ils ont finalement eu la révélation de leurs erreurs. Dans un pays où les citoyens accordent de la valeur aux notions de révélation et de repentance, ceux qui retournent leur veste y gagnent une auréole de pécheurs pénitents. Il est intéressant d’observer comment ces repentis, dont les engagements antérieurs étaient sans intérêt (sinon l’objet de railleries dans les médias) se trouvent subitement promus au titre d’authentiques experts. On pourra rappeler comment, à l’époque du maccarthysme, transfuges et ex-communistes rivalisaient, entre autres affabulations effrayantes, d’absurdités au sujet de l’imminence d’une invasion soviétique [36] . Ils trouvaient dans les médias un job sur mesure, brodant à la demande sur les mythes du moment. Le flux ininterrompu d’ex-radicaux propulsés de la marginalité aux feux de la rampe médiatique montre que nous sommes témoins d’une méthode durable de production d’experts, prêts à dire tout ce que l’establishment souhaitera.
[…]
Noam Chomsky et Edward Herman
Notes
[1] La première traduction en français (souvent très fautive) sous le titre (inexact et trompeur) de La Fabrique de l’opinion publique. La politique économique des médias américains, était parue en 2003 aux éditions Le Serpent à plumes.
[2] Mark Fishman, Manufacturing the News, University of Texas Press, 1980, p. 143.
[3] Ibid., p. 144-5.
[4] Gaye Tuchman, « Objectivity as Strategic Ritual : An Examination of Newsmen’s Notions of Objectivity », American Journal of Sociology, 1972, 77/2, p. 662-4.
[5] Il s’agit de communiqués destinés à la presse locale concernant l’activité de personnels originaires de la région. [note de l’éditeur].
[6] United States Air Force, « Fact Sheet : The United States Air Force Information Program », mars 1979 ; « News Releases : 600000 in a Year », Air Force Times, 28 avril 1980.
[7] J. W. Fulbright, The Pentagon Propaganda Machine, H. Liveright, 1970, p. 88.
[8] Ibid., p. 90.
[9] « Newspapers Mustered as Air Force Defends BIB », Washington Post, 3 avril 1987.
[10] « DOD Kills 205 Periodicals ; Still Publishes 1,203 Others », Armed Forces Journal International, août 1982, p. 16.
[11] Les neuf bureaux régionaux de l’USAF mènent aussi quelques opérations de communication ; mais à ce niveau, les moyens sont très inférieurs à ceux du secrétariat central. Il en est de même pour les niveaux locaux des ONG, comme ceux du NCC, qui produisent aussi quelques articles, des magazines, des documentaires vidéo ou cinématographiques.
[12] A. Kent MacDougall, Ninety Seconds To Tell It All, Dow Jones-Irwin, 1981, p. 117 20.
[13] John S. Saloma III, Ominous Politics. The New Conservative Labyrinth, Hill & Wang, 1984, p. 79.
[14] A. Kent MacDougall, Ninety Seconds…, op. cit., p. 116-7.
[15] Thomas B. Edsall, The New Politics of Inequality, Norton, 1984, p. 110.
[16] Peggy Dardenne, « Corporate Advertising », Public Relations Journal, novembre 1982, p. 36.
[17] S. Prakash Sethi, Handbook of Advocacy Advertising, Strategies and Applications, Ballinger, 1987, p. 22 ; lire aussi Thomas B. Edsall, New Politics…, « The Politicization of the Business Community », chap. III, op. cit. ; John S. Saloma III, Ominous Politics…, « The Corporations : Making Our Voices Heard », chap. IV, op. cit.
[18] Ainsi le bombardement de la Libye par l’aviation américaine le 14 avril 1986 fut-il la première intervention militaire américaine spécialement programmée pour pouvoir être retransmise en direct au journal du soir.
[19] Sur la manière remarquable dont l’administration Reagan utilisa ces dernières pour manipuler la presse, lire « Standups », The New Yorker, 2 décembre 1985, p. 8 sq.
[20] Mark Fishman, Manufacturing the News, op. cit., p. 153.
[21] Fondé en 1972, le Centre pour l’information sur la défense (division du World Security Institute), est une organisation à but non lucratif composé d’universitaires et d’officiers supérieurs retraités qui produisent des analyses critiques sur les politiques de sécurité et de défense des États-Unis.
[22] Secrétaire aux affaires inter-américaines sous Ronald Reagan, Elliott Abrams était un farouche ennemi de tout plan de paix en Amérique centrale. Convaincu en 1991 d’avoir dissimulé des informations au Congrès dans le cadre de l’Irangate, il occupera toutefois, dans le premier gouvernement de George W. Bush (fils), le poste d’assistant spécial du Président et directeur senior du conseil national de sécurité au Proche Orient et en Afrique du Nord ; sous la seconde présidence, il fut nommé conseiller pour la sécurité nationale sur les stratégies de démocratie globale. [note de l’éditeur].
[23] Harvard Crimson, 14 mai 1986, p. 123-4.
[24] Lire Edward S. Herman et Frank Brodhead, The Rise and Fall of the Bulgarian Connection, op. cit., p. 123-4.
[25] Mark Hertsgaard, « How Reagan Seduced Us : Inside the President’s Propaganda Factory », Village Voice, 18 septembre 1984 ; lire aussi « Standups », art. cit.
[26] Stephen L. Vaughn, Holding Fast the Inner Lines, University of North Carolina Press, 1980, p. 194.
[27] Bruce Owen et Ronald Braeutigam, The Regulation Game : Strategic Use of the Administrative Process, Ballinger, 1978, p. 7
[28] Lire Edward S. Herman, « The Institutionalization of Bias in Economics », Media, Culture and Society, juillet 1982, p. 275-91.
[29] Henry Kissinger, American Foreign Policy, Norton, 1969, p. 28.
[30] Cité in Alex Carey, « Managing Public Opinion : The Corporate Offensive », University of New South Wales (document ronéotypé), 1986, p. 32.
[31] Citations tirées de communications données par Edwin Feulner en 1978 et 1985, ibid., p. 46-7.
[32] Pour une remarquable étude portant sur la plupart de ces organisations et sur leurs objectifs, financements, réseaux et autres programmes prospectifs, lire John S. Saloma III, Ominous Politics…, op. cit., chap. IV, VI et IX.
[33] Fondamentalement anticommuniste, journaliste au Reader’s Digest, John Barron fut notamment l’auteur du succès de librairie KGB : The Secret Work of Soviet Secret Agents, Reader’s Digest Press, 1974.
[34] Au sujet des qualifications d’expert de Claire Sterling, lire Edward S. Herman et Frank Brodhead, The Rise and Fall of the Bulgarian Connection, op. cit., p. 125-46 ; sur Arkady Shevchenko, lire Edward J. Epstein, « The Invention of Arkady Shevchenko, Supermole : The Spy Who Came In to Be Sold », New Republic, 15-22 juillet 1985.
[35] Au début de 2002 était lancé un « Programme des analystes militaires du Pentagone ». L’idée était de recruter des personnes-clés susceptibles d’influencer l’opinion en prévision d’une invasion de l’Irak. Huit mille pages de documents relatifs à ce programme ont été rendus publics à la suite d’une requête d’accès à l’information en mai 2008. Ces documents attestent que les analystes militaires recrutés pour la circonstance étaient considérés comme de potentiels « multiplicateurs » pour diffuser « les thèmes et messages » de l’administration à des millions d’Américains « en les faisant passer pour leur propre opinion ». Plus de soixante-quinze officiers à la retraite furent ainsi embauchés pour délivrer ces messages sur les plateaux de radio et de télévision, ainsi que sous forme de tribunes dans les journaux. Le succès du programme a conduit d’autres branches de l’administration à recourir au programme, notamment pour légitimer les écoutes téléphoniques illégales dans le cadre de la « lutte antiterroriste » ou donner une image positive de Guantanamo. Nombre de ces « experts » étaient aussi consultants pour des firmes sous contrat avec le Pentagone. Source : . [note de l’éditeur].
[36] Certains analystes ont mit l’accent sur le rôle crucial de l’« informateur menteur » ; d’autres sur cette pathologie maccarthyste de l’« hégémonisme soviétique » – leitmotiv maoïste – qui faisait apparaître ex nihilo la stratégie soviétique de conquête du bloc de l’Ouest par l’entremise de Cuba, des sandinistes et de divers mouvements de guérilla en divers endroits du globe. Lire David Caute, The Great Fear : The Anti-Communist Purge under Truman and Eisenhower, Simon & Schuster, 1978, p. 114-38 ; Robert Leiken, Soviet Strategy in Latin America, Praeger, 1982.
Congrès du Parti socialiste : Ce que les six motions disent sur les médias
Publié le 14 novembre 2008
Le 6 novembre 2008, en vue du Congrès de Reims, les adhérents du Parti socialiste étaient invités à choisir entre six motions. Dans chacune d’elles, on pouvait trouver trace de la question des médias. Le plus souvent, de manière vague et marginale.
La motion majoritaire
La motion E présentée par Ségolène Royal et Gérard Collomb est arrivée en tête avec près de 30 % des voix [1]. Sous le titre « Garantir la liberté de la presse », on peut lire cette déclaration de principe : « Les médias doivent pouvoir jouer leur rôle d’information en toute liberté. Leur financement doit être indépendant de toute autre puissance (des pouvoirs publics, mais surtout aujourd’hui des puissances d’argent). » (p. 133) Elle est suivie d’un vigoureux diagnostic : « La suppression de la publicité sur les chaînes publiques est un coup bas contre le service public destiné à le paupériser » (ibid.). Fort bien. Reste à savoir si les propositions sont à la hauteur de ces proclamations.
« Nous proposons de :
- Interdire à tout groupe privé vivant notamment de la commande publique de détenir plus de 25 % dans les grands médias.
- Intégrer le temps de parole du président de la République dans celui de la majorité parlementaire.
- Partager également le temps de parole de l’opposition avec celui de la majorité. » (ibid.)
Et c’est tout !
Ces propositions minimales ne disent rien (ou presque, comme on le vérifiera plus loin) ni des concentrations financiarisées et multimédias, ni des projets de la droite au pouvoir concernant la presse écrite, ni des solutions à apporter au financement de France Télévisions, ni des médias associatifs… De surcroît, chacune d’entre elles pose problème :
- Pourquoi maintenir un droit de participation (de 25 % !) des groupes privés vivant de la commande publique ?
- Pourquoi limiter la question du pluralisme politique à la répartition du temps de parole entre majorité et opposition, c’est-à-dire entre les formations politiques représentées au Parlement ?
Reste à parcourir les autres motions…
Vous avez dit « indépendance » et « pluralisme » ?
Le déficit d’indépendance des médias est souligné, d’une manière ou d’une autre, par toutes les motions. Parfois à travers des dénonciations virulentes.
Par exemple, la motion A (Delanoë) [2] souligne avec gravité l’importance de cette question : « Le combat pour les libertés n’est jamais achevé. Il demande, d’abord, une grande vigilance par rapport aux atteintes que porte ce pouvoir autoritaire à des libertés, en matière [...] d’influence sur les médias. Notre opposition doit être sur ces points, d’une totale fermeté. » (p. 20)
La motion C (Hamon) [3] insiste sur le fait que la dépendance des médias est à la fois économique et politique : « Le pluralisme est gravement mis en cause par une double soumission aux grands groupes économiques et à cette intrusion du pouvoir politique en place. L’affaiblissement et l’appauvrissement de la télévision publique en est l’illustration flagrante. Nous pensons, nous, que l’indépendance des médias, la transmission du savoir, la liberté de l’information et de la presse sont plus que jamais décisives. » (p. 107)
La motion D (Aubry) [4] parle de changer certaines règles afin de garantir une meilleure indépendance des médias …mais sans se montrer très explicite : « Nous développerons la transparence, à travers [...] une réforme des règles applicables aux groupes de presse et aux médias audiovisuels pour garantir leur indépendance vis-à-vis des puissances de l’argent, leur pluralisme. » (p. 106)
La motion F (Utopia) [5] souligne plus fortement que toutes les autres l’uniformité qui règne dans les médias et l’idéologie libérale qu’ils diffusent [6].
Reste à savoir quelles mesures permettraient de contrecarrer ces tendances.
Vous avez dit « temps de parole » ?
Selon la réglementation en vigueur, le temps de parole politique dans l’audiovisuel est régi par un certain nombre de règles. Celle dite « des trois tiers » conduit à donner deux tiers de la parole au pouvoir en place (un tiers pour le gouvernement, un tiers pour la majorité parlementaire) contre seulement un tiers à l’opposition parlementaire. Le temps de parole du Président de la République, quoique comptabilisé, n’est pas pris en compte par le CSA ; il peut donc s’exprimer aussi souvent qu’il le souhaite. Quant aux petits partis (ceux qui ne sont pas représentés au Parlement), les médias audiovisuels sont supposés leur accorder un temps de parole « équitable » [7]. La motion E (Royal) prévoit de revenir sur deux de ces règles (voir plus haut). Les autres ne semblent pas estimer que le système actuel est particulièrement injuste puisqu’elles n’en parlent pas.
Alors, répétons ce que nous avions déjà écrit ici même – sous le titre « Temps de parole : les angoisses de Nicolas Demorand, des démocrates du PS et des caniches du CSA » – en octobre 2007 : « La démocratie, dit-on, se juge au respect du droit des minorités. Qui nous dira en quoi il serait démocratique et “de gauche” d’appliquer au pluralisme audiovisuel les conséquences du scrutin majoritaire à deux tours ? »
Vous avez dit « concentrations » ?
Tous les textes (à l’exception de la motion B du pôle écologique [8]) abordent cette question [9] et proposent des mesures anti-concentrations.
Comme on l’a vu la motion majoritaire propose uniquement d’« interdire à tout groupe privé vivant notamment de la commande publique de détenir plus de 25 % dans les grands médias » (p. 133). Quant aux autres, force est de constater qu’elles s’en tiennent à une déclaration d’intention générale : « Le renforcement des règles anti-concentration » pour la motion A, l’adoption d’« une loi anti-concentration en France » pour la motion C ou encore « un refus de la concentration et la garantie du pluralisme par la loi » pour la motion D.
Seule la motion F (Utopia), moins floue et plus ambitieuse, prend la mesure des enjeux : « Nous proposons de réguler le marché de l’audiovisuel et de la presse de manière à limiter les concentrations capitalistiques [...]. Ainsi, dans la presse et l’audiovisuel, les parts détenues par un groupe privé ne pourront pas représenter plus de 30% du capital des plus grands médias et pas plus de 15% de l’audience dans chaque type de média (presse, télévision, radio). Les entreprises réalisant plus de 10% de leur chiffre d’affaires dans les marchés publics ne doivent pas être autorisées à prendre de participation dans les médias. » (p. 156)
Vous avez dit « liaisons dangereuses » ?
Sur les entreprises bénéficiant de commandes de l’État, quatre des six motions ont jugé important de prendre position en préconisant soit la limitation soit l’interdiction pure et simple.
- Limiter à 25% la participation d’un groupe privé au capital des grands médias bénéficiant de commandes de l’État pour la motion majoritaire ; interdire aux (seules) « sociétés tenant une part conséquente de leur revenu des marchés publics d’être en même temps éditeurs de médias » (p. 107) pour la motion Aubry.
- Interdire totalement. Motion C (Hamon) : « les socialistes doivent s’engager à mettre fin aux intérêts croisés entre l’industrie des médias et la commande publique en interdisant aux firmes vivant de la commande publique (bâtiment, armement, distribution de l’eau) de détenir des parts dans le secteur des médias. » (p. 81) [10]
Et l’audiovisuel public ?
Pour répliquer à la suppression de la publicité sur l’audiovisuel public, sans compensation effective ni moyens de développement, trois motions se contentent de déclarations d’intention :
- la motion E (Royal) se borne à constater que « la suppression de la publicité sur les chaînes publiques est un coup bas contre le service public destiné à le paupériser » sans avancer la moindre solution.
- La motion A (Delanoë) est à peine moins floue : « Nous devrons donc nous battre pour un audiovisuel public fort pour une télévision de qualité, disposant d’un financement réel et pérenne, et d’une nouvelle gouvernance, parties intégrantes de son indépendance » (p. 21).
- La motion D (Aubry) évoque plus vaguement encore « des moyens dignes de ce nom réaffectés à l’audiovisuel public » (p. 107).
Seules deux motions s’engagent sur le terrain des propositions.
- La motion C (Hamon) analyse : « La suppression de la publicité pour les chaînes publiques, décidée brutalement et sans contrepartie satisfaisante, est principalement motivée par le souci d’aider financièrement les chaînes privées dirigées par des proches du Président. À terme, cette réforme va menacer l’existence même du service public de l’audiovisuel et aggraver son assujettissement au pouvoir exécutif. » Est ensuite avancée une piste pour compenser le manque à gagner : « Nous proposons donc de compenser la perte des recettes publicitaires des chaînes publiques par une taxe sur les revenus de la publicité des chaînes privées et par une augmentation de la redevance dont les ménages modestes doivent rester exonérés. » (p. 81)
- La motion F (Utopia) propose une taxe encore plus étendue : « nous préconisons également la taxation de la publicité au niveau de l’achat d’espace. Un taux de 5% représenterait en France environ un milliard d’euros de recette. » (p. 157)
Et le soutien aux médias associatifs ?
Deux motions seulement ont apparemment conscience du fait que, pour garantir le pluralisme, les mesures anti-concentration sont certes nécessaires mais non suffisantes : il faut aussi, entre autres, soutenir le tiers secteur.
- Une seule motion fait vaguement référence à cet objectif : la motion A (Delanoë) en appelle ainsi au « développement des médias associatifs et coopératifs à l’échelon local et régional » (p. 21) …mais sans dire comment, concrètement, ce développement pourrait être réalisé.
- La motion D (Aubry) évoque uniquement le soutien aux télévisions locales, sans préciser s’il s’agit de télévisions associatives ou non : elle propose en effet d’« aider au développement et à la diversité des télévisions locales » (p. 106).
Et la réforme du CSA ?
À l’heure actuelle, les neuf membres du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel sont nommés par les pouvoirs exécutif et législatif (trois par le président de la République, trois par le président du Sénat et trois par le président de l’Assemblée nationale). Conséquence : depuis janvier 2007, les neuf membres ont été nommés par la droite
La motion D (Aubry) est la seule à s’en inquiéter : « nous devrons réformer le mode de nomination des membres du CSA afin d’empêcher que 100 % des personnalités chargées de veiller au pluralisme soient désignées, comme aujourd’hui avec l’UMP, par le parti majoritaire. » (p. 107). Quant à la motion A (Delanoë), elle évoque « la réforme du CSA » sans précision aucune (p. 21).
Et caetera
Au fil des textes, on peut lire d’autres déclarations et propositions : sur la diversité culturelle dans les motions E (Royal) et F (Utopia), sur l’éducation aux médias dans la motion F, sur les moyens de communications du PS et même l’éventualité d’une chaîne de télévision du PS [11].
On peut lire aussi des critiques du rôle des médias, des sondages et de la personnalisation. Ainsi, pour la motion D (Aubry), il est nécessaire de considérer les sondages avec méfiance : « Penser par nous-mêmes plutôt que par les sondages. Les sondages nous ont souvent donné des indications que nos concitoyens ont infirmées dans les urnes. Tirons-en des leçons ! Ce ne sont pas les instituts de sondage qui doivent fixer le cap du Parti socialiste, surtout quand, à l’instar de l’IFOP, ils sont présidés par la numéro un du MEDEF… » (p. 111) Dans le même ordre d’idées, la motion C (Hamon) dit ne plus vouloir « subir l’air du temps, la dictature de l’opinion et des médias » (p. 63).
Mais encore ?
***Des constats parfois pertinents. Mais aucune motion prise séparément ni leur ensemble n’apportent (si l’on excepte quelques propositions partielles et éparses) de réponses à la hauteur des enjeux.
Notes
[1] Outre Ségolène Royal (Présidente du Conseil régional de Poitou-Charentes) et Gérard Collomb (sénateur), la motion E était soutenue notamment par Jean-Louis Bianco (député), Julien Dray (député), Louis Mermaz (sénateur), Vincent Peillon (député européen), Jean-Jack Queyranne (député), François Rebsamen (sénateur), Yvette Roudy, Manuel Valls (député)…
[2] La motion A était présentée par Bertrand Delanoë (maire de Paris) et soutenue notamment par François Hollande (Premier secrétaire du PS), Pierre Moscovici (député), Jean-Marc Ayrault (député-maire de Nantes). Elle a recueilli plus de 25 % des voix.
[3] La motion C était présentée par Benoît Hamon et soutenue notamment par Henri Emmanuelli (député), Gérard Filoche, Jacques Généreux, Liêm Hoang-Ngoc, Pierre Larrouturou, Marie-Noëlle Lienemann (députée européenne), Jean-Luc Mélenchon (sénateur), Paul Quilès (ancien ministre). Elle a obtenu environ 19 % des voix.
[4] La motion D était présentée par Martine Aubry (maire de Lille) et soutenue notamment par Claude Bartolone (député), Jean-Christophe Cambadélis (député), Laurent Fabius (député), Jean-Paul Huchon (Président du Conseil régional d’Île-de-France), Jack Lang (député), Marylise Lebranchu (députée), Martin Malvy (Président du Conseil régional de Midi-Pyrénées), Pierre Mauroy (sénateur), Arnaud Montebourg (député). Elle a recueilli près de 25 % des suffrages.
[5] Présentée par Franck Pupunat, la motion F n’a pas atteint 2 % des suffrages.
[6] « Par intérêt économique, par proximité avec les gens de pouvoir, par facilité, la plupart des organes d’information – et plus particulièrement audiovisuels – ont renoncé à ce qui devrait être leur mission, pour nous imprégner d’une idéologie libérale et lui donner un caractère universel. La diversité d’approche et d’analyse n’est pas la règle, l’espace pour des regards différents est extrêmement réduit. Tous les journaux télévisés sont construits sur le même modèle. L’uniformité domine. L’instantanéité règne. Là est bien le danger, d’autant que la plupart des médias sont directement la propriété de grands groupes privés ou sous influence du domaine marchand. Il est urgent de sortir de cette dictature des médias qui ont acquis un pouvoir excessif mettant en péril la démocratie elle-même. » (p. 156)
[7] Nous avions révélé ici même que c’était loin d’être le cas puisque, dans les faits, ils ont droit à environ 3 % du temps de parole alors que leur poids électoral est d’environ 15 % à 30 %.
[8] La motion B était soutenue notamment par Nicole Bricq (sénatrice) et Christophe Caresche (député). Elle a recueilli près de 2 % des suffrages.
[9] Ainsi, la motion A (Delanoë) estime que « la grande concentration des groupes à l’échelle mondiale est un danger » (p. 21) ; la motion C (Hamon) relève que le gouvernement libéral actuel « favorise les concentrations capitalistiques » (p. 85) ; la motion D (Aubry) évoque « une concentration de plus en plus poussée » (p. 106) ; et la motion F (Utopia) dénonce « les domaines trop concentrés de l’édition (édition et distribution) ou de l’audiovisuel » (p. 156).
[10] Autre proposition, celle de la motion F (Utopia) mentionnée plus haut : « Les entreprises réalisant plus de 10% de leur chiffre d’affaires dans les marchés publics ne doivent pas être autorisées à prendre de participation dans les médias. » Quant à la motion B (pôle écologique), elle se borne à évoquer l’absence de contrôle, sans autre précision : « Il faut interdire, ce que nous avons souvent proposé mais jamais réussi à faire, le contrôle des médias par les entreprises bénéficiant de commandes de l’État » (p. 45).
[11] Motion C (Hamon) : « Nous devons aussi nous atteler à l’émergence de nouveaux outils médiatiques du PS. Nous ne pouvons plus négliger l’état de l’espace médiatique actuel dans lequel nous ne maîtrisons correctement ni nos propres débats ni la portée de notre discours. [...] Les nouvelles technologies nous offrent la possibilité de bâtir des vecteurs de communication professionnels répondant à nos besoins d’indépendance. » (p. 88) Motion D (Aubry) : « De même, parce que nous sommes en démocratie médiatique, développons nos moyens de communication (pourquoi ne pas créer notre propre chaîne de télévision, « PS-TV », sur le Net voire sur la TNT ?) » (p. 113)
D’imaginaires « théories du complot » comme arguments de propagande
Publié le 20 août 2007 par Arnaud Rindel, Serge Halimi
Le texte dont nous publions ici une version écourtée est paru sous le titre « La conspiration : Quand les journalistes (et leurs favoris) falsifient l’analyse critique des médias » dans Jean Bricmont et Julie Franck (sous la direction de), Chomsky, Cahier de L’Herne, Paris, 2007, 356 pages, 39 €. Il est disponible dans sa version intégrale sur le site de l’Homme moderne (Acrimed)

Pour expliquer le fonctionnement des médias de masse, nous ne recourons à aucun moment à l’hypothèse d’une conspiration. (Noam Chomsky et Edward S. Herman) [1]
[Les] pensées intentionnalistes et « conspirationnistes », de Chomsky à PLPL […] tendent à faire de l’intentionnalité malfaisante de quelques Puissants dans l’ombre (adossés aux Médias) le principal dans les modes d’oppression (Philippe Corcuff) [2]
J’avoue que depuis quelques temps il m’arrive parfois d’entendre et de voir des choses que personne n’a jamais vues ni entendues (Nicolas Gogol, Le journal d’un fou, 1835).
Vouloir transformer toute analyse des structures de l’économie et de l’information en « théorie du complot » ne constitue pas une falsification ordinaire. Elle s’inscrit dans une logique d’ensemble.
Depuis un quart de siècle, la contre-révolution néolibérale, la décomposition des régimes « communistes » et l’affaiblissement des syndicats ont concouru à la renaissance puis à l’hégémonie d’une pensée individualiste. Les institutions collectives sont démantelées ; celles que l’on édifie sur leurs décombres privilégient le consommateur désaffilié, l’« individu sujet ». Dorénavant perçues comme « marxistes » et donc dévaluées à l’égal des régimes qui se prétendaient tels, les analyses structurelles de l’histoire, de la politique et des médias sont par conséquent dédaignées. Le refus de postuler que la spontanéité des « acteurs » et l’élan impétueux des « droits de l’homme » seraient les principes essentiels guidant la mondialisation expose au risque d’être qualifié d’archaïque, d’extrémiste ou de paranoïaque. Et la trappe de la « fin des idéologies » condamne à la pendaison les « grands récits collectifs » construits autour d’une histoire sociale conflictuelle. […]
L’appétit à traquer partout les fragments d’une pensée individualiste en consonance avec l’air du temps, l’acharnement à secourir des penseurs prestigieux de leurs égarements supposés n’épargnent plus ni Marx ni Proudhon [3]. Certains intellectuels et journalistes, autrefois issus de la gauche contestataire et qui dorénavant convoitent d’autres espaces politiques, plus moelleux, n’ont en effet de cesse de reconstruire les références qui les ont structurés politiquement pour pouvoir ensuite prétendre être demeurés fidèles à leurs engagements passés, mais une fois ceux-ci compris avec un surcroît de maturité — et digérés. Néanmoins, quand les « classiques » de la contestation demeurent encore en vie, la relecture dé-radicalisée de leurs travaux requiert leur concours (Toni Negri, Jürgen Habermas). Chaque fois que l’assistance de ce dernier n’est pas acquise — ou quand il est certain que sa récupération sera impossible — le recyclage manipulateur doit céder le pas à l’opposition frontale. Et alors, à la guerre comme à la guerre : contre les pourfendeurs de la « complexité », la fin justifie les moyens.
C’est dans ce contexte général qu’il convient de replacer la stigmatisation de quiconque — Chomsky ou un autre — entreprend d’étudier un ensemble de contraintes systémiques, donc collectives, pour tenter d’en déduire le comportement vraisemblable des agents d’un champ donné (économique, culturel, médiatique) [4]
L’idée que des pesanteurs sociales produisent des effets distincts de ceux qu’enfanterait la seule volonté des individus incommode assez naturellement tous ceux qui privilégient des déterminations privées plus ou moins dépolitisées : choix du sujet, aptitude à l’« éthique » salvatrice qui protège le système contre ses « excès ». A travers cette grille de lecture strictement individualiste, la critique d’une institution ne peut qu’apparaître comme une mise en cause de la moralité des individus qui la compose ; un dysfonctionnement général – autre que ponctuel – ne saurait exister s’il n’a été intentionnellement et collectivement planifié. La multiplication des critiques formulées à l’encontre des grands médias a donc été traitée par ces mêmes médias comme un supposé « retour des théories du complot ». Leur intérêt affiché pour ce thème a, comme souvent, « spontanément » coïncidé avec une recrudescence des essais diffusés en librairie [5]. L’ensemble s’est traduit par l’assimilation de plus en plus fréquente de toute critique de l’institution médiatique à des conspirations imaginaires [6]
- I -D’emblée, il faut souligner le paradoxe de la plupart des attaques contre « Pierre Bourdieu » ou « Noam Chomsky » [7] . On reproche à ces deux auteurs de ne pas reconnaître le caractère presque spontané de la transformation économique du dernier quart de siècle, liée à des phénomènes posés comme « naturels » et détachés d’une intention politique et sociale (« mondialisation », « révolution technologique »). Néanmoins, on les pourfend simultanément pour avoir énoncé que des déterminations collectives contraindraient la volonté individuelle.
La juxtaposition de ces deux reproches aboutit à suggérer que l’homme serait autonome vis-à-vis de son groupe social, mais la société des hommes impuissante contre le marché. Déduire les comportements des particuliers de leur socialisation (y compris par l’information, plus ou moins biaisée, qu’ils reçoivent sur leur environnement) et chercher à expliquer des politiques économiques par les intérêts d’une classe au pouvoir oblige à devoir se défendre de croire en un « ordre né d’un complot à la manière d’un nouveau protocole des Sages de Sion » [8] .
C’est imputer une vision sociale bien naïve, pour ne pas dire enfantine à des intellectuels radicaux. Plutôt que née dans le cerveau de « Chomsky » ou de « Bourdieu », on la croit volontiers produite par celui d’un adolescent projetant sur eux ses fantasmes nés d’une fréquentation trop exclusive des romans d’espionnage et des séries télévisées [9].
En 1988, l’économiste Edward S. Herman et le linguiste Noam Chomsky publient un ouvrage devenu l’une des références de la critique radicale des medias, Manufacturing Consent. Political economy of the mass media (La fabrication du consentement. L’économie politique des médias de masse) [10]. Les auteurs y argumentent que les entreprises médiatiques, loin d’éclairer la réalité du monde social, véhiculent une image de ce monde conforme aux intérêts des pouvoirs établis (économiques et politiques).
Les réactions de la plupart des journalistes en vue sont à l’image du commentaire de Tom Wolfe, écrivain américain – et père du « nouveau journalisme ». Il tranche avec dédain : « C’est la vieille théorie de la cabale qui veut que quelque part autour d’un bureau feutré une bande de capitalistes tire les ficelles. Ces bureaux n’existent pas. Je regrette d’avoir à le dire à Noam Chomsky » [11]. Depuis lors, le linguiste n’a cessé de répéter que son analyse ne reposait sur aucune forme de conspiration. Et qu’il avançait « exactement l’inverse » de la caricature que Tom Wolfe lui prêtait.
Ce qui pouvait à la rigueur passer pour un malentendu en 1988 est devenu, en général sous des plumes infiniment moins talentueuses et divertissantes que celle de Tom Wolfe, un procédé de disqualification ordinaire. Il est d’autant plus courant quand ses utilisateurs, situés sur l’espace progressiste de la comète politique, perçoivent en Chomsky un empêcheur de moraliser en rond.
En France, pays où cette campagne ne paraît connaître aucun répit, ce sont donc surtout des périodiques et des intellectuels catalogués à « gauche » qui se sont acharnés à falsifier les travaux et les conclusions du linguiste américain afin de maintenir vivace sa « mauvaise réputation » [12] .
Dès la rédaction de Manufacturing Consent, Chomsky et Herman pressentaient l’orage à venir. « Les critiques institutionnelles, telles que celle que nous présentons dans cet ouvrage sont souvent discrédités par les commentateurs de l’establishment comme étant des “théories du complot” [13] ». Pour tenter d’y remédier, ils prenaient soin de préciser, dès la préface : « Pour expliquer le fonctionnement des médias de masse, nous ne recourons à aucun moment à l’hypothèse d’une conspiration ».
Cette double précaution aurait dû paraître inutile. Aux yeux d’un lecteur normalement constitué, l’analyse proposée dans Manufacturing Consent a en effet à peu près autant de chances de passer pour une théorie du complot qu’un champ de tournesols pour une batterie de casseroles. Le propos du livre souligne que les forces qui conduisent les médias à produire une information politiquement et socialement orientée, loin d’être enfantées par l’amoralité de certains individus, tiennent avant tout à des mécanismes inscrits dans la structure même de l’institution médiatique – son mode d’organisation et de fonctionnement en particulier.
Selon Chomsky et Herman, ces mécanismes opèrent sous forme de « filtres », de « facteurs institutionnels qui fixent les limites à ne pas franchir dans la diffusion des faits et leur interprétation, au sein des institutions à caractère idéologique [14] ».
Le premier filtre tient à la nature des propriétaires des médias dominants. Détenus par des oligopoles privés, ces moyens d’information et de communication sont mus par la logique du profit maximum.
Le second filtre renvoie aux sources de financement des grandes entreprises médiatiques. Leurs recettes proviennent principalement de leurs clients – les annonceurs – auxquels elles vendent des taux d’audience.
Le troisième filtre concerne les sources d’information privilégiées par les journalistes.
Le quatrième correspond aux protestations adressées aux responsables de la presse, lesquelles contribuent à apprécier les limites de ce qui est diffusable sans risque.
Le dernier filtre est celui des présupposés idéologiques dominants, intériorisés par les journalistes et qui guident leur interprétation de l’actualité comme le compte rendu qu’ils en font. Dans les années 80, le présupposé dominant était l’idéologie anticommuniste. Il est désormais « surpassé par une force idéologique plus puissante encore, celle de la croyance dans le “miracle du marché” (selon l’expression de Reagan) [15] ».
Ce cadre d’interprétation général détermine le traitement réservé aux politiques, gouvernements et interlocuteurs « orthodoxes ». Ils sont systématiquement valorisés et leurs erreurs, voire leurs crimes, paraissent toujours moins atroces que ceux que commettraient des « dissidents » au système de croyance dominant.
Ces cinq filtres ont une particularité commune. Tous favorisent le contrôle et l’orientation de l’information dans un sens conforme aux intérêts privés. « Les mêmes sources de pouvoir sous jacentes qui possèdent les médias et les financent en tant qu’annonceurs, qui jouent le rôle de “définisseur primaire” des “nouvelles”, qui produisent les “tirs de barrage” et les experts orthodoxes, jouent également un rôle clé dans la définition des principes de base et des idéologies dominantes [16] ».
- II -Sorti à Paris en 1993 sous le titre Chomsky, les médias et les illusions nécessaires, le documentaire de Peter Wintonick et Marc Achbar (Manufacturing Consent : Noam Chomsky and the media) a permis de constater que, malgré les précautions des auteurs, l’assimilation de leur travail sur les médias à une « théorie du complot » est aussi ancienne que récurrente. Pas une réunion publique filmée par les réalisateurs ne semble se tenir sans qu’un participant n’entreprenne de demander des comptes à Chomsky sur les délires paranoïaques qui lui sont imputées. Alors, de débats en conférences, le linguiste répète. « Une des données structurelles du capitalisme entrepreneurial est que les “joueurs” doivent accroître leurs profits et leurs parts de marchés – s’ils ne le font pas, ils seront éliminés de la partie. Aucun économiste ne l’ignore : ce n’est pas une théorie du complot de le souligner, c’est simplement prendre en compte un fait caractéristique de cette institution Noam Chomsky in Peter Mitchel et John Schoeffel, Understanding Power, op. cit., p.26.]] ».
Mais rien n’y fait. En 2002, l’éditorialiste Philippe Val, patron d’un hebdomadaire satirique longtemps classé à gauche, Charlie Hebdo, inquiet de l’influence radicale de Noam Chomsky, entreprend de la contrecarrer dans trois éditoriaux successifs, d’autant plus vindicatifs qu’ils fourmillaient d’erreurs. La transcription en français d’une des conférences du linguiste, donnée onze ans plus tôt [17] a suffi à Philippe Val pour aboutir à ce verdict : « Pour lui [Chomsky], l’information […] n’est que propagande [18] ». Une fois de plus, Chomsky rabâchera alors : « Je n’ai jamais dit que tous les médias n’étaient que propagande. Loin de là. Ils offrent une grande masse d’informations précieuses et sont même meilleurs que par le passé […] mais il y a beaucoup de propagande [19] ».
Il n’est pire sourd… Au même moment, Daniel Schneidermann, journaliste spécialisé dans l’observation des médias, « résume » à son tour « la thèse [...] du linguiste Noam Chomsky » : « Asservis au lobby militaro industriel, obéissant au doigt et à l’œil à des consignes politiques, ils [les médias] n’ont de cesse de débiter des futilités au kilomètre, pour empêcher « la masse imbécile » de réfléchir à l’essentiel [20]. »
En 1996, Edward Herman avait pourtant lui aussi précisé les choses : « Nous avons souligné que ces filtres fonctionnement essentiellement par l’intermédiaire des actions indépendantes de nombreux individus et organisations, qui peuvent parfois, mais pas toujours, avoir des points de vue similaires et des intérêts communs. En bref, le modèle de propagande décrit un système de traitement et de régulation décentralisé et “non-conspiratonniste” s’apparentant à un système de marché, bien que le gouvernement ou un ou plusieurs acteurs privés puissent parfois prendre des initiatives et mettre en œuvre une action coordonnée des élites sur un sujet précis [21] ».
« Si je parlais de l’Union Soviétique, complétait Chomsky, et que je disais, “regardez, voici ce que le bureau politique a décidé, et ensuite le Kremlin a fait ça”, personne ne qualifierait cela de “théorie conspirationniste” – tout le monde comprendrait que je parle seulement de décisions planifiées. Seulement voilà, ironisait le linguiste, « ici, personne ne planifie jamais rien : nous agissons guidés uniquement pas une sorte de bienveillance universelle, en trébuchant de temps en temps ou en faisant parfois des erreurs. […] Dès que vous décrivez des réalités élémentaires, et attribuez une rationalité minimale aux pouvoirs en place […] c’est une théorie conspirationniste. [22] »
C’est peine perdue. En 2004, Géraldine Muhlmann publie Du journalisme en démocratie. Le livre, qui lui vaut aussitôt un déluge de critiques louangeuses, résume les 400 pages de Manufacturing Consent en une douzaine de lignes attribuant doctement aux deux auteurs un « schéma public innocent / journalistes malfaisants, le premier étant pris en otage par les seconds [23] ».
Au nombre des louanges que lui vaut ce résumé particulier, Géraldine Muhlmann reçoit ceux de Philippe Corcuff. Cet universitaire lyonnais a fait de la « complexité » une de ses marques de fabrique (au point qu’il est sans doute l’un des seuls au monde à avoir compris le sens et l’intérêt du concept, assurément complexe, de « social-démocratie libertaire » dont il est l’auteur). Il découvre pourtant à son tour en Pierre Bourdieu, en Noam Chomsky (mais aussi en Acrimed et en PLPL) une « rhétorique du “complot” » qui valorise « l’intentionnalité de quelques acteurs “puissants” » [24]. Il a fallu assurément que Philippe Corcuff empile tous ses talents de maître de conférences en science politique, de militant de la LCR et de membre du conseil scientifique d’Attac pour que l’analyse « structurelle » des médias se voit ainsi ramenée à la « rhétorique de quelques acteurs ». Cette prouesse lui a valu d’être à son tour encensé par Edwy Plenel, ancien directeur de la rédaction du Monde, qui désormais s’inquiète lui aussi de « cette vision du monde » dans laquelle « il n’y a place que pour des machinations individuelles » [25].
- III -Ces charges incessantes présentent une caractéristique commune : elles se limitent toutes à déprécier les conclusions de Chomsky, sans jamais évoquer les preuves qui viennent les étayer.
Examiner les faits rapportés par les auteurs avant de prétendre trancher sur leur interprétation devrait constituer un préalable à toute discussion sérieuse. Mais on perçoit aussitôt le problème qui naîtrait de tels scrupules. Il faudrait alors se frotter à la masse d’observations – rigoureuses et détaillées – présentées par Chomsky et Herman pour fonder leurs analyses. Et si au terme d’un tel examen, on devait admettre la réalité des déformations rapportées, il ne suffirait plus de discréditer l’explication avancée par les auteurs : il deviendrait urgent d’en proposer une autre. La tentative de ramener cette désinformation ordinaire à des « emballements » extra-ordinaires ou à des « imperfections inévitables » ne saurait suffire – surtout après que chacun ait signifié à quel point le rôle de l’ « information » constituait un marqueur fondamental entre démocratie et dictature.
La dénonciation de la prétendue théorie du complot de Chomsky – et de ceux qui en France, recourent au même type d’analyse institutionnelle – se limite donc, sagement, à marteler un reproche infondé. Aux yeux de la masse des non-lecteurs des travaux incriminés, la répétition de la même imputation vaudra confirmation de sa véracité – et invitation à ne pas s’abîmer dans une lecture présentée comme aussi fruste.
Les assauts répétés contre la critique radicale des médias dévoilent par ailleurs une contradiction intellectuelle. D’une part, les assaillants reprochent aux deux critiques de défendre l’idée d’une conspiration ourdie dans l’ombre. Mais, au même moment, ils relèvent que cette « théorie du complot » a recours à des documents publics, à des citations de presse, preuve que cette critique se réfute d’elle-même, et que la couverture médiatique des sujets controversés serait en réalité adéquate.
Pourtant, dès lors que, de l’aveu même de ses adversaires, la critique radicale s’appuie sur des documents publics, des intérêts transparents et publiquement énoncés, comment pourrait-elle renvoyer à des comploteurs tapis dans d’obscurs « bureaux feutrés » ? La réponse est déjà trouvée : puisque que la critique des médias est une « théorie du complot », la transparence des logiques qu’elle éclaire… prouve son ineptie ! Nicole Bacharan, chargée de cours à l’Institut d’études politiques de Paris, explique ainsi, matoise : « Ce qui à mon sens [...] défait totalement la théorie du complot à cet égard, c’est que c’est très, très clair. Les intérêts [...] ne sont pas cachés, il n’y a pas besoin d’aller soulever des coins d’ombre [26] ».
Il vaut ici de noter que la chargée de cours est également une commentatrice, aussi omniprésente que peu reconnue par ses pairs universitaires, de la politique américaine dans les médias français. La surface journalistique est d’ailleurs en général proportionnelle à la disposition à fustiger… le simplisme de la critique radicale du journalisme. Qu’on ne cherche nulle « théorie du complot » dans cette remarque ancrée dans une observation psychologique tout à fait ordinaire : un système qui fait appel à vous (et qui vous rémunère, vous promeut) ne saurait jamais être tout à fait mauvais.
Odieux quand on croît le débusquer sous la plume de Chomsky (qui n’y a jamais recours), l’usage, usuel, d’un champ lexical « conspirationniste » ne provoque en revanche aucune protestation quand on le retrouve dans la bouche ou dans les textes des avocats du système social.
Ainsi, lors des grèves du printemps 2003, le ministre de l’éducation nationale français de l’époque, le philosophe médiatique Luc Ferry, s’indignait du comportement des enseignants en dénonçant à plusieurs reprises « une campagne de désinformation [27] ». Deux ans plus tard, les lycéens en colère lui parurent « manipulés » par leurs professeurs [28] . Curieusement, nul ne reprocha à l’essayiste-ministre de propager une image simpliste et uniforme d’un corps de métier, ou une vision « conspirationniste » d’un mouvement social.
De même, Géraldine Muhlmann n’est pas souvent soupçonnée de défendre une théorie du complot, d’exagérer le caractère secret et les ressorts inavoués des dynamiques sociales quand elle s’interroge sur l’utilité du journalisme qui devrait davantage « aller voir où en général personne ne va, dans les lieux cachés [29] ». Le même reproche ne fut pas non plus opposé à Laurent Joffrin lorsqu’il s’exclama qu’« évidemment, les pouvoirs cachent les choses [30] », pas plus qu’à Daniel Schneidermann au moment où le chroniqueur du Monde écrivait : « Etre journaliste, c’est ne croire rien ni personne, savoir que tous mentent, qu’il faut tout vérifier en permanence [31] ». Désinformation, tromperies, vérités cachées, mensonges, complicité… quel critique des médias, même radical, emploierait impunément un tel vocabulaire ? [32]
Comme les pourfendeurs de l’« analyse institutionnelle » sont en peine – et pour cause – d’expliquer en quoi celle-ci constituerait une vision « conspirationniste », ils procèdent par amalgame. Si ce n’est toi, c’est donc ton frère… Ainsi, se penchant sur le terreau ayant favorisé l’irruption de Thierry Meyssan [33] sur la scène médiatique, Daniel Schneidermann a associé dans un même passage X-files, Michael Moore, David Vincent (héros d’une série télévisée des années 60 ayant pour thème l’invasion extra-terrestre), le film JFK d’Oliver Stone (attribuant l’assassinat de Kennedy à un complot) et « la thèse depuis de longues décennies du linguiste Noam Chomsky [34] ».
Si le camp des paranoïaques est délimité avec énormément de générosité, les arrière-pensées qu’on lui prête sont plus étroites. Pour Géraldine Muhlmann, la critique radicale qui « n’est pas claire sur ses implicites [35] », aurait tendance à « glisser, parfois, sur une pente antidémocratique [36] ». Nicolas Weill, journaliste au Monde, félicita aussitôt la philosophe amie des médias d’avoir perçu cette « tendance non assumée à l’antidémocratisme ». Il regrettait cependant que « L’analyse n’a[it] pas été poussée jusqu’au point où la critique du journalisme au XIXe et au début du XXe siècle épouse un autre phénomène : celui de l’antisémitisme [37] ».
On le voit, des élites intellectuelles et médiatiques reprochent à l’analyse institutionnelle tout et son contraire, exigent d’elle qu’elle respecte des principes qu’ils n’appliquent pas aux autres, la réduisent à une vague opinion en occultant toute la part d’argumentation rationnelle qui fonde sa légitimité, n’informent pas sur cette critique (et ne s’informent sans doute pas eux même à son sujet), limitent leurs seuls « arguments » à des amalgames enfantins, des insinuations diffamatoires et des imprécations sans réplique. Ces attaques recèlent par conséquent toutes les caractéristiques de la propagande…
Serge Halimi & Arnaud Rindel
janvier 2006
Version intégrale sur le site de l’Homme moderne (Acrimed)
Notes
[1] Noam Chomsky et Edward S. Herman, Manufacturing Consent. The Political Economy of the Mass Media, Pantheon Books, New York, (1998) 2002, p.IX.
[2] Philippe Corcuff, « Gauche de gauche : le cadavre bouge encore », octobre 2004 . Philippe Corcuff est un universitaire français, par ailleurs chroniqueur à Charlie Hebdo au moment de ses attaques contre Bourdieu, Chomsky et, plus généralement, contre la critique radicale des médias – dont PLPL (Pour lire pas lu) était, avec le site Acrimed (Action Critique Média), l’un des principaux organes. Au nom d’Acrimed, le sociologue Patrick Champagne a répliqué au chroniqueur de Charlie Hebdo dans « Philippe Corcuff, critique “intelligent” de la critique des médias ».
[3] Voir par exemple la récente biographie de Karl Marx (Jacques Attali, Karl Marx ou l’esprit du monde, Fayard, 2005), de laquelle l’essayiste, ancien conseiller de François Mitterrand, puis banquier, retient surtout que l’auteur du Capital « écrit tout le temps qu’il est pour la mondialisation, qu’il est pour le capitalisme, qu’il est pour le libéralisme économique, qu’il est pour la bourgeoisie. » (France culture, 22 juin 2005). Une « lecture » martelée tout au long de son interminable tournée de promotion médiatique.
[4] Lire, pour d’autres exemples : « La critique des médias », Pour Lire Pas Lu (PLPL) n°20, Juin-Aout 2004 ; également la rubrique « Haro sur la critique des médias ».
[5] L’année 2005 vît ainsi fleurir les ouvrages, couvertures de presse et dossiers spéciaux consacrés à ce thème. Entre autres : Antoine Vitkine, Les nouveaux imposteurs, La martinière, Paris, 2005 ; Véronique Campion-vincent, La société parano. Théories du complot, menaces et incertitudes, Payot, 2005 ; Pierre-André Taguieff, La foire aux illuminés. Esotérisme, théorie du complot, extrémisme, Mille et une nuits, 2005 ; Frédéric Charpier, L’Obsession du complot, Bourin éditeur, 2005. La sortie de ces ouvrages fut accompagnée – au moins pour les trois premiers – d’articles de presse élogieux dans les principaux quotidiens et hebdomadaires et de multiples apparitions médiatiques de leurs auteurs. De son côté, le magazine TOC consacra un dossier à « La mode des complots » (mars 2005). Le magazine Littéraire fit de même avec « La paranoia » (juillet-aout 2005) avant que Le Monde 2 ne s’intéresse au « retour des théories du complot » (5 novembre 2005). L’année 2005 vit également la parution d’une bande dessinée de Will Eisner sur l’histoire des Protocoles des Sages de Sion (Le Complot, Grasset), ainsi que la sortie dans les salles de cinéma d’un documentaire du cinéaste américain Marc Levin sur le même thème (Les protocoles de la rumeur).
[6] L’émission « Arrêt sur images » en a fourni récemment deux exemples. Devant la mise en question de l’image que ses reportages véhiculent de l’Islam, le journaliste Mohamed Sifaoui répliqua aussitôt : « En gros, si je résume, c’est : depuis 30 ans, tous les médias français se sont mis d’accord, parce qu’il y a un énorme complot contre la communauté musulmane, […] cette démarche intellectuellement est totalement insensée et idiote, parce que elle repose déjà sur une question de complot » (France 5, 16 octobre 2005). Deux mois plus tard, interrogé sur les menaces de sanction des industriels envers les journalistes qui se risqueraient à critiquer leur produits, Alain Grangé-Cabane, président de la Fédération des industries de la parfumerie, rétorque à son tour : « Je me demande si c’est pas un peu aussi la théorie du complot qui surgit partout. Les horribles annonceurs seraient là pour essayer d’étouffer la vérité. » (France 5, 4 décembre 2005).
[7] Souvent il s’agit de noms génériques qui permettent d’affecter de ne pas répondre directement à d’autres intervenants envers qui on souhaite feindre le mépris.
[8] Site ultra libéral du Chat borgne, .
[9] Lire l’article de Laurent Joffrin, alors directeur de la rédaction de Libération, assimilant les analyses de Pierre Bourdieu et consorts à une « vision fantasmagorique, déstructurante et paranoïaque du monde », un « bizarre croisement entre X-files et Maurice Thorez » (Libération, 12 mai 1998). Maurice Thorez fut secrétaire général du Parti communiste français de 1930 à 1964.
[10] Noam Chomsky et Edward S. Herman, Manufacturing Consent, op. cit. Quinze ans plus tard, cet ouvrage a été (très approximativement) traduit en français sous le titre (incongru) de La Fabrique de l’opinion publique. La politique économique des médias américains (Le Serpent à plumes, 2003).
[11] Lire Mark Achbar, Manufacturing Consent. Noam Chomsky and the media, Editions Black Rose Books, Montréal, Québec, 1994, p.61.
[12] Lire Jean Bricmont, « Folies & raisons d’un processus de dénigrement. Lire Noam Chomsky en France », postface à Noam Chomsky, De la guerre comme politique étrangère des Etats-Unis, Agone, Coll. « Eléments », Marseille, 3e ed., (2001) 2004, p.227-257.
[13] Noam Chomsky et Edward S. Herman, Manufacturing Consent. The Political Economy of the Mass Media, Pantheon Books, New York, (1998) 2002, p.lx.
[14] Peter Mitchel et John Schoeffel, Understanding Power. The indispensable Chomsky, (The New York Press, New York, 2002) Vintage, Londres, 2003, p.26
[15] Noam Chomsky et Edward S. Herman, Manufacturing Consent, op. cit., p. XVII.
[16] Ibid, p.XI
[17] Noam Chomsky, Propaganda, Le Félin, coll. « Danger Public », Paris, 2002. Il s’agit de la conférence « Media Control : The Spectacular Achievements of Propaganda » (Seven Stories Press, New York, 1997) donnée par Chomsky le 17 mars 1991.
[18] Philippe Val, « Noam Chomsky dans son mandarom », Charlie Hebdo, 19 juin 2002.
[19] Noam Chomsky, Télérama, 07 mai 2003.
[20] Daniel Schneidermann, Le cauchemar médiatique, Denoël Impact, Paris, 2003, p. 121-122.
[21] Edward S. Herman, « The propaganda model revisited », Monthly Review, New York, juillet 1996.
[22] Understanding Power, op. cit., p.390.
[23] Géraldine Muhlmann, Du journalisme en démocratie, Payot, Paris, 2004, p.28.
[24] Philippe Corcuff, « De quelques aspects marquants de la sociologie de Pierre Bourdieu », octobre 2004, . Philippe Corcuff est coutumier de l’administration d’une preuve par voie de citation trafiquée. Il lui arrive ainsi régulièrement de résumer le discours de certains auteurs en encadrant de guillemets des termes (en l’occurrence, celui de « complot », ou de « grand complot néolibéral ») auxquels ceux-ci n’ont recours que pour en récuser l’usage[[Lire, pour plus de détails : Patrick Champagne, « Philippe Corcuff, critique “intelligent” de la critique des médias », avril 2004,.
[25] Edwy Plenel, Procès, Stock, 2005, p.78. Un an plus tôt, Edwy Plenel vitupérait déjà cette « critique destructrice et mortifère » et saluait avec enthousiasme la publication des essais de Géraldine Muhlmann (Le Monde 2, 9 avril 2004).
[26] Nicole Bacharan, « De quoi j’me mêle : Tous manipulés ? », Arte, 13 avril 2004.
[27] Luc Ferry, « Pièce à conviction », France 3, 5 juin 2003.
[28] « Ferry / Julliard », LCI, 12 février 2005.
[29] Géraldine Muhlmann, « Idées », RFI, 16 mai 2004, 0h10 TU (Temps Universel).
[30] BFM, 15 octobre 2004, 13h30.
[31] Daniel Schneidermann, Du journalisme après Bourdieu, Editions Fayard, 1999, p.41.
[32] Cela sans compter les périodiques qui titrent régulièrement sur des complots, des vérités cachées et des forces occultes de tous ordres. Voir à ce sujet le montage de « Unes » et de titres de presse réalisé par PLPL : « Leur théorie du complot », Pour Lire Pas Lu (PLPL) n°20, juin-aout 2004, p.12.
[33] Dans son ouvrage, L’Effroyable imposture (Carnot, Paris, 2002), Thierry Meyssan affirmait, entre autres, qu’aucun avion ne s’était écrasé sur le Pentagone le 11 septembre 2001.
[34] Daniel Schneidermann, Le Cauchemar Médiatique, op. cit., pp.121-122. On retrouve le même type d’amalgame dans l’essai d’Antoine Vitkine, Les nouveaux imposteurs (op. cit.). Notons au passage qu’il est assez paradoxal d’associer Chomsky à la théorie conspirationniste sur la mort de Kennedy qu’il a pourtant rejetée à plusieurs reprises très clairement, en argumentant de façon détaillée (voir Noam Chomsky, Rethinking Camelot. JFK, the Vietnam War and U.S. Political Culture, South End Press, Boston, 1993). Il l’a même qualifiée d’ « extrêmement improbable », soulignant que « personne n’a pu jusqu’à présent avancer ne serait-ce qu’une raison plausible ». Il ajoutait que « l’énergie et la passion qui sont mises dans ce genre de choses […] sont particulièrement auto-destructricse » et qu’il serait souhaitable de faire un « effort sérieux » pour « oublier tout cela » (Understanding Power, op. cit., p.326-331 et 348-351). De manière assez originale (et qui en dit long sur sa maîtrise des sujets qu’il traite), cet assassinat est justement pour Antoine Vitkine le « seul complot majeur » qui soit « encore non éclairci » (Les Nouveaux imposteurs, op.cit., p.17). Et c’est Vitkine qui accuse Chomsky, entre autres, de contribuer à maintenir vivace les théories du complot…
[35] Géraldine Muhlmann, « La critique en reste au coup de gueule » (entretien avec Olivier Costemalle et Catherine Mallaval), Libération, 19 juin 2004.
[36] Géraldine Muhlmann, « Le travail du regard chez le journaliste » (entretien avec Raphaël Enthoven), Lire, mai 2004.
[37] Nicolas Weill, « Le journalisme au-delà du mépris », Le Monde des livres, 2 avril 2004. Pour une analyse plus détaillée de ce texte, Lire Henri Maler, « Le Monde contre “les critiques antimédias”, antidémocrates et antisémites », 26 avril 2004].
Médias et censure. Les figures de l’orthodoxie (dir. Pascal Durand)
Publié le 20 juillet 2004 par Pascal Durand
Un livre qui se présente fort bien lui-même, notamment sur sa quatrième de couverture.

Pascal DURAND (sous la direction de), Médias et censure. Les figures de l’orthodoxie , Liège, Editions de l’ULG, 2004.
Institution singulièrement complexe, investie de la fonction de parler toutes les autres institutions, l’appareil des médias exerce, par là, de multiples effets d’imposition sur le monde social, et d’autant plus puissants qu’ils passent le plus souvent inaperçus. Quels sont ces effets, leurs ressorts, et quelle en est la source ? Tel est le triple objet du présent volume où plusieurs spécialistes des médias de l’ULG (P. Durand, G. Geuens, H. Deleersnijder, C. Servais) sont associés aux noms prestigieux d’Alain Accardo, Serge Halimi, Armand Mattelart, Erik Neveu, Serge Rimbert ou encore Noam Chomsky.
La presse est libre, nous en sommes convaincus, et les journalistes les premiers. Le discours de presse n’en est pas moins subordonné à des enjeux de pouvoir, à des rapports de force, à des pressions de conformité diverses. Comme tel, ce discours est à la fois l’objet et le vecteur d’une « censure » spécifique, émanant à la fois des structures du champ journalistique et de la forte dépendance que celui-ci entretient à l’égard des champs politique et économique. Structurale, cette censure détermine un certain mode de construction de l’information ; produit de l’hétéronomie du champ journalistique, elle contribue à l’ajustement du discours médiatique à la Doxa ambiante. Lieux communs, stéréotypes et clichés ; information sélective en temps de guerre, de génocide ou dans la couverture de dossiers « sensibles » ; production spontanée d’un prêt-à-penser conforme aux intérêts des classes dominantes ; sécrétion d’une mythologie propice aux illusions rentables de la « société de l’information » ; neutralisation médiatique des forces de contestation sociale : c’est tout le spectre de ces effets d’orthodoxie que les quinze auteurs ici réunis entendent explorer, dans le souci de fournir au lecteur non seulement des analyses, mais des instruments d’analyse.
Affaire de journalistes ou de théoriciens critiques du discours journalistique ? Qu’on ne s’y trompe pas : les mutations de l’appareil médiatique, l’évolution de ses structures professionnelles, sa soumission croissante à l’emprise des intérêts privés ne concernent pas que ses seuls acteurs, au premier rang desquels les fractions les plus précaires du personnel journalistique ; au-delà, elles concernent tout l’espace public et, par conséquent, le devenir de nos sociétés démocratiques.
Pascal Durand est Professeur à la Faculté de Philosophie et Lettres de l’ULG.
Corcuff et la « théorie du complot »
Publié le 6 septembre 2006 par Gilbert Achcar
Cet article est paru dans le n° 17 de la revue ContreTemps, septembre 2006. Il répond à un article de Philippe Corcuff publié dans le même numéro et intitulé « Chomsky et le « complot médiatique » : Des simplifications actuelles de la critique sociale ». Comme ce dernier article est déjà largement diffusé par son auteur sur l’Internet (avec un post-scriptum auquel il n’est pas répondu ici) [1], j’ai jugé nécessaire de mettre également ma réponse à la disposition des internautes. Le texte ci-dessous est le dernier que j’ai soumis à ContreTemps après avoir dû plusieurs fois adapter mon texte aux modifications à répétition que Philippe Corcuff a introduites dans le sien, souvent pour parer à mes réponses. Je n’ai pas le temps de vérifier si la version de son article diffusée sur l’Internet contient de nouvelles modifications.
L’article de Philippe Corcuff auquel il m’a été demandé de répondre est bien frustrant : il appelle un type de discussion que je n’apprécie guère, puisqu’il s’agit de corriger une lecture hautement déformante, à coup de renvoi de citations. Puisse au moins cet exercice servir aux tierces personnes qui le liront, en leur permettant de mieux saisir ce dont il retourne.
Chomsky et les médias
La façon de procéder de Philippe Corcuff (PC dorénavant) me semble, en effet, très cavalière : il s’en prend à son propre fantasme, projetant sur Chomsky les idées qu’il lui a prêtées depuis qu’il a choisi de le prendre pour cible de prédilection, en essayant de s’ériger en pourfendeur attitré des critiques des médias les plus en vue [2].
La thèse que cherche à démontrer PC n’est rien de moins que la suivante : l’intérêt accordé à Chomsky dans les milieux altermondialistes serait un signe de « régression “pré-marxiste” de la critique sociale », le célèbre linguiste et analyste politique n’étant qu’un « révélateur d’un certain recul théorique des discours critiques les plus diffusés aujourd’hui ».
Lorsque l’on se fixe un programme d’une telle ambition, avec la prétention implicite que l’on détient soi-même l’étalon du progrès théorique de la critique sociale, et lorsque l’on a, par ailleurs, une exigence minimale de rigueur intellectuelle, la moindre des choses est de prendre toutes les précautions nécessaires afin de s’assurer que l’on ne déforme pas la pensée de celui que l’on prend pour cible.
Passons sur le procédé qui consiste à donner une suite de mots entre guillemets en guise de démonstration, comme lorsque PC parle de « généralisations hâtives portées par le vocabulaire choisi : “constante et généralisée” (p. 30), “totale” (p. 73), “toujours” (p. 75), “orientation structurelle systématique” (p. 109), etc. ». Le procédé se passe de commentaire.
Arrêtons-nous plutôt aux citations plus sérieuses, en apparence, que l’auteur nous assène copieusement. Elles sont toutes tirées d’un livre paru en 2003 sous le titre La Fabrique de l’opinion publique américaine. La politique économique des médias américains, traduction française d’un ouvrage très connu d’Edward Herman et de Noam Chomsky (H&C dorénavant), paru en 1988, dont le titre original anglais est Manufacturing Consent : The Political Economy of the Mass Media [3].
Or, il n’est pas besoin d’être diplômé en langue anglaise pour s’apercevoir d’emblée qu’il y a déjà un problème de traduction dans le titre français, ne serait-ce que la substitution flagrante de « la politique économique » à « l’économie politique » !
Ce livre, dont le titre correctement traduit aurait dû être : La fabrication du consentement. L’économie politique des médias de masse aux Etats-Unis [4], a pour objet l’étude de la structure des médias de masse (non des médias tout court) et leur rôle dans la production d’un consentement majoritaire aux actions du gouvernement américain en politique extérieure. Cela s’applique, bien sûr, comme l’ouvrage le précise et comme il va de soi, aux politiques qui font l’objet d’un consensus au sein des sphères dirigeantes de la classe dominante, que les auteurs désignent volontiers par « élite » (dans le sens élaboré qu’a donné à cette expression C. Wright Mills dans The Power Elite).
PC connaît certainement assez bien la langue anglaise pour avoir été en mesure de s’apercevoir que le titre original a été massacré. En tout état de cause, cherchant à polémiquer contre H&C comme il l’a fait – c’est-à-dire en privilégiant l’interprétation sémantique, quasi-psychanalytique, de quelques mots et phrases au détriment d’une intelligence d’ensemble de leurs thèses – il aurait dû, au moins, faire l’effort de vérifier ce que les deux auteurs ont vraiment écrit dans le texte original [5].
Le réquisitoire de PC est, en effet, essentiellement construit à coup de citations qui, comme par hasard, sont toutes déformées par la traduction et, de surcroît, détachées de leur contexte, lorsqu’elles ne sont pas coupées de façon arbitraire. Prenons juste les premières citations, à titre de démonstration et pour éviter d’être fastidieux.
Le premier passage que cite PC, à partir de l’introduction de 2002, se termine par :
« Nous pensons qu’entre autres fonctions, ces médias se livrent à une propagande qui sert les intérêts des puissantes firmes qui les contrôlent en les finançant et dont les représentants sont bien placés pour orienter l’information. » (C’est PC qui souligne à chaque fois.)
Voici, traduit plus correctement et complété, ce que disent H&C dans l’original (p.XI, je souligne) :
« Nous pensons que, parmi leurs autres fonctions, les médias servent les puissants intérêts sociétaux qui les contrôlent et les financent, et exercent de la propagande pour leur compte. Les représentants de ces intérêts ont d’importants programmes et principes qu’ils veulent mettre en avant, et sont en bonne position pour modeler et contraindre la politique des médias. Cela ne se fait pas normalement par une intervention grossière, mais par la sélection d’un personnel bien-pensant, ainsi que par l’intériorisation, de la part des responsables des rédactions et des journalistes en service, de priorités et de définitions de ce qu’il convient de rapporter qui sont conformes à la politique de l’institution. »
La phrase incriminée par PC apparaît ainsi d’une évidence presque banale : qui pourrait contester, par exemple, que Patrick Le Lay, PDG de TF1 et représentant de Bouygues, est en bonne position pour modeler et contraindre la politique de la chaîne par les voies indiquées – comme d’ailleurs, soit dit en passant, par des procédés bien plus « grossiers » !
Pour faire bonne mesure, PC cite ensuite une phrase de l’ouvrage de H&C récusant explicitement « la thématique du complot », qu’il croit cependant invalidée par la citation précédente. Puis il cite une phrase sur « l’intériorisation », similaire à celle qui vient d’être traduite ci-dessus, en y reconnaissant des « pistes stimulantes, mais relativement peu reprises par la suite, sur le rôle de stéréotypes intériorisés par les journalistes ». « Relativement peu reprises » ? Il s’agit pourtant de l’une des idées-forces récurrentes de l’ouvrage de H&C. Rien n’y fait : selon PC, la « corruption des personnes » serait « privilégiée par Chomsky »…
Citation substantielle suivante, choisie, soulignée et coupée par PC :
« Nous décrivons un système de “marché dirigé” dont les ordres viennent du gouvernement, des leaders des groupes d’affaires, des grands propriétaires et de tous ceux qui sont habilités à prendre des initiatives individuelles et collectives. Ils sont suffisamment peu nombreux pour pouvoir agir de concert (…) »
Ce que disent H&C en réalité, sans couper la citation et en la complétant (p.lX) :
« C’est un “système de marché orienté” que nous décrivons ici, les orientations [guidance] étant fournies par le gouvernement [ou l’État, government en anglais], les dirigeants de la communauté des firmes, les principaux propriétaires des médias et leurs administrateurs, et les divers individus et groupes qui ont la tâche ou la permission de prendre des initiatives constructives. Ceux-ci sont en nombre suffisamment limité pour être en mesure d’agir ensemble à l’occasion, comme le font les vendeurs dans les marchés où il y peu de concurrents. Dans la plupart des cas, cependant, les dirigeants des médias font des choses semblables parce qu’ils partagent la même vision du monde, sont sujets à des contraintes et des intéressements similaires, et programment ainsi des sujets, ou maintiennent le silence sur d’autres, ensemble, en une action collective et un comportement leader-suiveur qui restent tacites. »
Je ne poursuivrai pas plus loin la démonstration : toutes les autres citations de H&C qu’a produites PC sont à l’avenant de celles-ci. Son procédé aboutit à déformer profondément la pensée des deux auteurs, tant par manque de rigueur (la traduction non vérifiée) qu’en coupant, parfois, des citations et en ignorant toujours un contexte qui réfute ce que PC cherche à démontrer. Plutôt que d’infliger à celles et ceux qui nous lisent la correction, ainsi que la restitution en intégralité et en contexte de toute la série de citations données par PC, il me semble plus utile de présenter les grandes lignes de l’analyse de H&C.
Ce que les deux auteurs proposent dans leur ouvrage n’est pas à proprement parler « un modèle de propagande » comme cela est traduit dans l’édition française (où « modèle » pourrait être entendu au sens de la perfection, alors qu’il s’agit ici de « modèle » au sens de paradigme ou d’idéaltype). Il serait probablement plus clair de rendre leur formule par « un modèle axé sur la propagande » (A propaganda model) et par « le modèle de la propagande » (lorsque « modèle » est introduit par l’article défini). Autrement dit, un modèle d’analyse du rôle des médias de masse en tant qu’appareils performant une propagande politique et idéologique, ou, comme l’écrivent les auteurs, « un cadre analytique qui tente d’expliquer la performance des médias américains par les structures et relations institutionnelles de base dans le cadre desquelles ils opèrent » (p. XI).
Dans le résumé que H&C donnent eux-mêmes de leur analyse dans l’introduction à la seconde édition de leur ouvrage, après ce qui vient d’être cité et après avoir évoqué, dans la citation traduite plus haut, le rôle des représentants des grands intérêts propriétaires des médias de masse dans le conditionnement et la contrainte de ces médias, ils poursuivent :
« Les facteurs structurels sont les facteurs comme la propriété et le contrôle [6], la dépendance à l’égard d’autres sources majeures de financement (notamment les annonceurs publicitaires) et les intérêts mutuels et relations entre les médias, d’une part, et ceux qui font les nouvelles et ont le pouvoir de les définir et d’expliquer leur signification, d’autre part. Le modèle de la propagande intègre également d’autres facteurs en rapport étroit avec les précédents, comme la capacité de protester contre le traitement des nouvelles par les médias (c’est-à-dire de produire des “critiques” [7]), celle de fournir des “experts” pour confirmer le point de vue officiel sur les nouvelles, et de fixer les principes et les idéologies de base qui sont tenus pour allant de soi par le personnel médiatique et l’élite, mais auxquels la population générale résiste souvent. [...] Nous pensons que ce que les journalistes font, ce qu’ils considèrent comme digne d’être rapporté, et ce qu’ils tiennent pour allant de soi en tant que prémisses de leur travail sont des choses qui s’expliquent bien, souvent, par les intéressements, pressions et contraintes intégrés dans une telle analyse structurale. »
Le premier chapitre de Manufacturing Consent est consacré à un exposé analytique des facteurs structurels évoqués ci-dessus. Afin de démontrer leur thèse du fonctionnement propagandiste des médias de masse dans le domaine de la politique étrangère – qui les concerne au premier chef parce qu’il est l’objet prioritaire de leur combat politique – les deux auteurs consacrent ensuite cinq chapitres à une démonstration très détaillée et très documentée de la façon dont les médias de masse américains ont traité une série de dossiers chauds des années 1970 et 1980 (l’ouvrage étant paru en 1988), de l’Indochine à l’Amérique centrale.
Précisons tout de suite, pour qui en douterait, que nos deux auteurs savent pertinemment que le rôle des médias de masse ne se réduit pas à ce qui précède [8]. Ils ne font que mentionner, par exemple, leur rôle d’industrie de la distraction et de l’abrutissement, dont la critique a été initiée par l’École de Francfort et son entourage. Et l’on pourrait, certes, ajouter bien d’autres rôles – certains positifs, même, du point de vue de la critique politique et sociale, surtout aux interstices. Les auteurs concluent d’ailleurs d’une façon qui confirme le sens d’idéaltype qu’ils donnent au terme « modèle » (pp.304-305) :
« Aucun modèle simple ne suffira, cependant, à rendre compte de chaque détail d’une question aussi complexe que le fonctionnement des médias nationaux de masse. Nous pensons qu’un modèle axé sur la propagande saisit des traits essentiels du processus, mais il laisse en dehors de l’analyse nombre de nuances et d’effets secondaires. Il y a d’autres facteurs qu’il faut identifier. Certains d’entre eux sont en conflit avec la “fonction sociétale” des médias, tels qu’ils sont décrits par le modèle de la propagande ; d’autres y contribuent. Dans la première catégorie, l’humanité et l’intégrité professionnelle de journalistes les poussent souvent dans des directions inacceptables pour les institutions idéologiques. On ne devrait pas sous-estimer le fardeau psychologique que représentent la suppression de vérités évidentes et la confirmation des doctrines requises au sujet de la bienveillance [du gouvernement] (qui a parfois mal tourné), des erreurs inexplicables, des bonnes intentions, de l’innocence lésée, etc., contre des preuves accablantes incompatibles avec ces prémisses patriotiques. Les tensions qui en résultent trouvent parfois une expression limitée, mais elles sont plus souvent supprimées consciemment ou inconsciemment, avec le secours de systèmes de croyance qui permettent la poursuite d’intérêts étroits, quels que soient les faits. »
Pressentant le dénigrement dont ils allaient être l’objet de la part des défenseurs intéressés du système médiatique, selon les déformations usuelles de l’apologie des médias, H&C avaient pris soin de souligner, dès la préface de la première édition de leur ouvrage (p.lX), ce qu’ils ont répété dans l’introduction à la seconde édition, déjà citée à cet effet, et qui est au cœur de leur analyse :
« Des critiques des institutions comme celles que nous présentons dans cet ouvrage sont habituellement récusées par les commentateurs de l’establishment comme relevant de “théories du complot”, mais cela n’est qu’une façon d’esquiver le débat. Nous n’utilisons aucune sorte d’hypothèse “conspirative” pour expliquer la performance des médias de masse. En fait, notre traitement du sujet est beaucoup plus proche d’une analyse de “marché libre”, les résultats étant largement le produit de l’action des forces du marché. La plupart des choix biaisés dans les médias proviennent de la présélection de personnes bien-pensantes, de préconceptions intériorisées, et de l’adaptation du personnel aux contraintes de la propriété, de l’organisation, du marché et du pouvoir politique. La censure est dans une large mesure autocensure, de la part de reporters et de commentateurs qui s’adaptent aux réalités des exigences organisationnelles des sources et des médias, ainsi que de la part de personnes situées à des échelons plus élevés au sein des organisations médiatiques, des personnes choisies afin de mettre en pratique les contraintes imposées par les propriétaires et autres centres de pouvoir du marché et de l’État, et qui ont généralement intériorisé ces contraintes. » [9]
Comparez tout ce qui précède à ce que PC croit détecter dans l’ouvrage de H&C, sans peur de la contradiction et de l’inconsistance (selon PC, l’analyse chomskyenne serait à la fois systémiste, économiste, déterministe, intentionnaliste, élitiste et conspirationniste !) ; du détournement d’héritage (PC essaye de mettre Bourdieu de son côté, alors que les écrits consacrés aux médias par l’auteur de Sur la télévision présentent une analyse qui converge si bien avec celle de H&C qu’elle subit les mêmes accusations déformatrices, les mêmes causes produisant les mêmes effets [10] – quant à Marx, voir ci-dessous) ; voire de l’insinuation diffamante par association (l’invocation incongrue dans cette discussion de l’ouvrage consacré par Taguieff au faux antisémite intitulé Protocoles des Sages de Sion).
Selon PC, l’analyse de Chomsky est fondée sur :
« un systémisme, ultra-fonctionnaliste et économiste, mettant en scène un “système” économique omniprésent et omniscient. C’est la logique économique des propriétaires et des publicitaires qui déterminerait d’abord et directement le contenu précis des messages médiatiques (pp.2-14), intégrant les “médias au marché” (p.5) et empêchant la moindre “autonomie” (p.4).
« Mais cet économisme est souvent débordé par la tendance intentionnaliste de l’écriture : le retour subreptice du “complot”. »
« Au bout du compte, nombre d’expressions [sic] suggèrent la primauté d’une action concertée et cachée associant les élites économiques, les dirigeants politiques et les journalistes, qui utiliseraient des mensonges conscients, bref nous ramènent à la figure du “complot”. »
« Avec le fil intentionnaliste du texte chomskyen, on est paradoxalement plus proche du modèle du libéralisme économique, celui de l’homo œconomicus, pour lequel le calcul coût/avantages d’acteurs individuels est le point de départ de l’analyse, que de la théorie marxiste. Mais dans ce cas, il ne s’agit pas du calcul de tous les individus mais de quelques membres “peu nombreux” d’une élite et leurs calculs sont cachés. On cumule ici un schéma intentionnaliste (ce sont les intentions individuelles qui comptent principalement dans l’explication des processus sociaux) et un schéma élitiste (ce sont les intentions d’une élite). Si cette convergence avec les schémas libéraux n’est pas souvent perçue, c’est qu’elle tend à être effacée par la coloration critique que semble lui donner le dévoilement d’actions cachées. »
« Ce qui nous éloigne également du modèle de sociologie critique proposé par Pierre Bourdieu : le croisement de la logique de l’habitus (l’inconscient social intériorisé par chaque personne au cours de sa socialisation) et de celle des champs sociaux (les structures sociales extériorisées, dans des dynamiques sociales s’imposant aux individus malgré eux) limitant la part attribuée aux volontés humaines dans l’explication des mouvements de l’histoire. »
« Le conspirationnisme se présente donc comme une trame narrative inspirant largement la critique chomskyenne des médias, dans des croisements avec la trame narrative de l’économisme systémique. »
La rhétorique de PC est tellement en contradiction avec l’analyse véritable de H&C, présentée plus haut, qu’elle relève bel et bien du fantasme. En réalité, c’est la façon même dont Corcuff lit H&C – cherchant des indices cachés derrière les mots pour étayer une accusation que les deux auteurs, pourtant, prennent grand soin de réfuter à l’avance – c’est cette façon même qui relève de la « théorie du complot ».
PC croit achever de discréditer Chomsky in fine en invoquant « les sciences sociales critiques contemporaines, qui discutent d’ailleurs peu les analyses de Chomsky consacrées aux médias. Non pas, principalement, parce que leur supposée portée “critique” dérangerait “les chiens de garde” de l’Université, mais parce que leur pente manichéenne ne correspond pas à l’état d’avancement et d’affinement des outillages critiques. »
Pour preuve de ce mépris dans lequel la science critique avancée et raffinée qu’il représente tient les analyses de Chomsky, PC ne trouve à invoquer que le fait que le célèbre linguiste n’a pas été cité par l’auteur du volume Sociologie du journalisme dans la collection de poche Repères [11] ! Vérifions plus sérieusement si « les analyses de Chomsky consacrées aux médias » sont « peu » discutées dans les universités et par les sciences sociales critiques contemporaines. Il existe pour cela un indice beaucoup plus révélateur que la bibliographie d’un ouvrage de poche édité en France. En nous limitant ici à la langue anglaise, cherchons sur Google les mots « Chomsky+media+syllabus » [12]. Résultat : toujours largement supérieur à 35000 réponses [13].
Gageons que Corcuff aimerait beaucoup être aussi « peu » discuté dans les universités pour la totalité de ses écrits que ne l’est Chomsky au sujet des seuls médias !
Marx et… les « médias » !
En guise de conclusion, PC déplore « au sein de la gauche française » ce qu’il perçoit comme « un certain anti-intellectualisme » et « un recul de la culture théorique ». Cette accusation a été constamment rabâchée contre le mouvement social et la gauche radicale par les « autorités intellectuelles » consacrées et autres « experts » médiatiques.
L’originalité de la démarche de PC est toutefois que, selon lui, cette misère théorique serait liée à « la dévalorisation des exigences théoriques associées auparavant au marxisme », alors que, jusque-là, les pourfendeurs du mouvement des classes opprimées attribuaient la même prétendue misère au marxisme lui-même. C’est de bonne guerre : écrivant dans une revue à dominante marxiste, le « post-marxiste » PC cherche à mettre de son côté les « marxistes ». Il affirme : « Dans l’analyse marxienne comme dans la tradition marxiste, les mécanismes idéologiques ne se réduisent donc pas, dans les textes les plus rigoureux, à une logique de manipulation consciente. La manipulation consciente n’y joue même, tout au plus, qu’un rôle secondaire. »
Laissons ici de côté la « tradition marxiste » parce qu’une telle formule recouvre un champ théorique si vaste et contrasté qu’il serait absurde de vouloir l’examiner en quelques lignes [14]. Qu’en est-il de « l’analyse marxienne » ? PC cite une phrase de L’idéologie allemande afin de montrer que Marx et Engels estimaient que la bourgeoisie était elle-même victime de sa propre idéologie : loin donc de déformer consciemment la réalité, elle serait sincère en quelque sorte, se repaissant elle-même des illusions qu’elle propage.
Il faut bien mal connaître l’œuvre de Marx pour considérer L’idéologie allemande comme l’un de ses « textes les plus rigoureux » ! Dans le manuscrit en question, rédigé en 1845-46 et abandonné à « la critique rongeuse des souris » (Marx dixit), la théorie de Marx et Engels n’en était qu’à ses balbutiements – comme, du reste, le capitalisme lui-même, avec une bourgeoisie encore en phase ascendante et progressiste ! En outre, prendre un texte de 1846 comme source pour une analyse des médias en ce début du 21e siècle relèverait d’un dogmatisme « marxiste » quasi-religieux s’il n’émanait ici d’un « post-marxiste » affirmé.
L’autre écrit cité par PC a été rédigé en 1852, après un tournant majeur dans l’histoire de la lutte des classes : c’est Le 18-Brumaire de Louis Bonaparte. Une phrase est livrée à notre réflexion, dans laquelle Marx attribue à la petite-bourgeoisie cette auto-intoxication idéologique qu’il attribuait six ans auparavant à la classe dominante. Le déplacement du diagnostic est intéressant : c’est qu’entre-temps, la bourgeoisie avait connu une mue et perdu sa relative innocence.
« La bourgeoisie se rendait très bien compte que toutes les armes qu’elle avait forgées contre le féodalisme se retournaient maintenant contre elle-même, que tous les moyens d’instruction qu’elle avait institués se retournaient contre sa propre culture, que tous les dieux qu’elle avait créés l’abandonnaient. Elle se rendait compte que toutes les prétendues libertés civiques et institutions de progrès attaquaient et menaçaient sa domination de classe [...] Tant que la domination de la classe bourgeoise ne s’était pas complètement organisée, n’avait pas trouvé son expression politique pure, l’antagonisme des autres classes ne pouvait pas, non plus, se manifester nettement, et là où il se manifestait, prendre cette tournure dangereuse qui transforme toute lutte contre le pouvoir d’État en une lutte contre le capital. » [15]
Le rôle de la presse bourgeoise est déjà dénoncé : « La tribune et la presse célébrèrent dans l’armée la puissance de l’ordre opposée aux masses populaires, représentant l’impuissance de l’anarchie [...] » Mais l’époque ne connaît encore que des « médias » très rudimentaires, et il reste à la portée des différents partis de rivaliser dans ce domaine. La répression idéologique bourgeoise est encore fondamentalement une répression physique : la censure ou l’interdiction, que le Second Empire pratiquera amplement, l’une comme l’autre.
Les années suivantes, Marx, confronté au capitalisme le plus avancé de son temps, celui de l’Angleterre où il résida en exil, critiquera de plus en plus l’hypocrisie et le rôle mystificateur de la presse bourgeoise. Un exemple parmi beaucoup d’autres, que j’ai cité dans l’un de mes ouvrages en soulignant précisément la ressemblance avec la dénonciation par Chomsky de l’hypocrisie de son propre gouvernement :
« Le Times de Londres en rajoute, et non seulement par panique. Il fournit à la comédie un sujet auquel Molière lui-même n’avait pas pensé, le Tartuffe de la vengeance. [...] John Bull [l’équivalent britannique de l’Oncle Sam] doit être immergé dans des cris de vengeance jusqu’à ses oreilles, pour lui faire oublier que son gouvernement est responsable du mal qui couvait et des dimensions colossales qu’on lui a permis d’acquérir. » [16]
La mue des rapports des classes entamée en 1848 fut achevée en 1871, au moment où le capitalisme s’engageait dans sa mutation impérialiste. La lutte des classes atteignit un apogée avec la Commune de Paris et sa terrible répression (25 000 morts). Le ton comme l’analyse de Marx évoluèrent nettement en conséquence :
« Le prétendu massacre de citoyens sans armes place Vendôme est un mythe dont M. Thiers et les ruraux n’ont absolument pas voulu dire un mot à l’Assemblée, s’en remettant exclusivement pour le diffuser à la valetaille du journalisme européen. » [17]
La « valetaille du journalisme européen » (die « Bedientenstube der europäischen Tagespresse » [18])… jamais Chomsky ne se permettrait pareille formule !
Marx en rajoute :
« Dans la pleine conscience de sa mission historique et avec la résolution héroïque d’être digne d’elle dans son action, la classe ouvrière peut se contenter de sourire des invectives grossières des laquais de la presse et de la protection sentencieuse des doctrinaires bourgeois bien intentionnés qui débitent leurs platitudes d’ignorants et leurs marottes de sectaires, sur le ton d’oracle de l’infaillibilité scientifique. » [19]
Comme on est loin de la tentative de PC d’annexer Marx à sa démarche ! Pourtant, Marx a vécu dans une époque où les médias de masse n’existaient pas encore, où il fallait beaucoup moins de capital pour fonder et entretenir le seul type de médium « de masse » qui existait, c’est-à-dire un imprimé, et où les instruments de propagande et de conditionnement idéologique à la disposition du capital étaient mille fois moins décisifs qu’ils ne le sont devenus au 20e siècle. Depuis le siècle de Marx, en effet, l’élévation du niveau d’éducation du salariat a rendu plus vitale que jamais la fonction mystificatrice des appareils idéologiques bourgeois. Le rôle relatif de la « violence symbolique », pour emprunter un concept à Bourdieu, par rapport à la violence physique, est devenu considérablement plus important. Ne pas voir le rôle décisif que jouent les médias de masse dans la perpétuation de l’ordre capitaliste – rôle qui est loin d’être seulement inconscient, à la manière de la prose de Monsieur Jourdain – c’est ignorer un rouage-clé de la domination de classe contemporaine.
Ajoutons que, par un ethnocentrisme fort courant au sein de l’intelligentsia française, PC ne tient pas compte du fait que les médias de masse aux États-Unis sont beaucoup moins ouverts aux critiques du système que ne le sont les médias de masse en France [20], ne serait-ce qu’en raison de l’absence outre-Atlantique de tradition de parti ouvrier de masse. Il ne situe pas l’analyse de Herman et de Chomsky dans son contexte véritable : au cœur de la principale puissance capitaliste et impérialiste du monde, dans le pays où l’argent est roi plus que nulle part ailleurs et où la « démocratie » est à son plus haut degré de vénalité – ce pays que le néolibéralisme ambiant, en France comme ailleurs en Europe, érige en modèle universel.
Le militant de la Ligue communiste révolutionnaire, Philippe Corcuff, se trompe singulièrement de combat.
Gilbert Achcar
Politologue et sociologue, Université Paris-VIII
Notes
[1] Sur les sites de Calle Luna et de Bella Ciao.
[2] Diabolisé en France pour des raisons qui illustrent bien sa critique des médias, Chomsky est une cible d’autant plus « facile » qu’il a bien d’autres chats à fouetter que de lire PC, et, à plus forte raison, de lui répondre. C’est bien pourquoi, d’ailleurs, j’ai accepté de prendre sa défense en réponse à PC, à la demande de la rédaction de ContreTemps. Je ne dirai rien, par contre, des critiques français des médias qui se défendent bien eux-mêmes, me contentant de renvoyer à leur sujet au site d’Action-Critique-médias (www.acrimed.org), ainsi qu’à l’article de Serge Halimi et Arnaud Rindel, « La conspiration. Quand les journalistes (et leurs favoris) falsifient l’analyse critique des médias », dans Agone, n° 34, 2005, pp. 43-65.
[3] Nouvelle édition avec une nouvelle introduction des auteurs, Pantheon Books, New York, 2002. Les pages citées dans cet article renvoient à cette édition. L’ordre des noms des deux auteurs, contraire à l’ordre alphabétique, est celui de l’édition originale, ce qui indique une prééminence de Herman dans la rédaction de l’ouvrage. Ce dernier est pourtant presque ignoré par PC, qui préfère s’en prendre exclusivement à la bête noire de certains médias français qu’est devenu Chomsky. Le nom de Herman n’est cité que deux fois dans son texte, contre quinze fois plus pour Chomsky.
[4] L’ajout de « aux États-Unis » s’impose, en France, en raison du fait que l’ouvrage est exclusivement consacré à l’analyse de la structure et du fonctionnement du système médiatique au pays des deux auteurs.
[5] Il ne pouvait échapper à PC que dans l’article de Halimi et Rindel, cité ci-dessus, après avoir mentionné l’édition originale de l’ouvrage de H&C, les auteurs ajoutent en note : « Quinze ans plus tard, cet ouvrage a été (très approximativement) traduit en français sous le titre (incongru) de La Fabrique de l’opinion publique américaine. La politique économique des médias américains. » (Note 10, p. 47-48 – les deux commentaires entre parenthèses sont, bien sûr, de Halimi et Rindel).
[6] « Contrôle » est à entendre ici au sens des paquets d’actions qui permettent de contrôler une entreprise, même lorsqu’ils ne sont pas majoritaires. Je fais cette précision afin que PC ne voie pas dans ce terme une autre confirmation de sa « théorie du complot ».
[7] Le terme anglais est “flak”, qui désigne une pratique usuelle aux États-Unis, à l’instar des messages de protestation qui inondent les organes médiatiques lorsque, par exemple, ceux-ci portent atteinte au « moral de nos troupes ».
[8] De même que Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron savaient pertinemment que le rôle du système de l’enseignement ne se réduit pas à la reproduction de la légitimité de la domination de classe. Par ailleurs, on peut illustrer le fonctionnement des médias de masse dans bien d’autres domaines que celui de la politique étrangère, bien entendu.
[9] Vient ensuite le passage déjà cité sur le « système de marché orienté ».
[10] On pourrait en dire autant d’ailleurs de la sociologie générale de Pierre Bourdieu, dont on retrouve plusieurs échos indirects dans l’ouvrage de H&C, n’en déplaise à PC et à sa tentative de lire « autrement » le sociologue, post-mortem.
[11] Cela serait plutôt un reproche qu’il faudrait adresser à l’auteur de ce volume, puisque, à supposer même qu’une analyse soit mauvaise, le seul fait qu’elle ait une grande popularité auprès du lectorat critique impose au sociologue, surtout s’il est lui-même critique, de la prendre en compte, ne serait-ce que pour la dénigrer à la manière de PC.
[12] « Syllabus » est le terme utilisé dans l’enseignement universitaire en anglais pour les plans de cours avec listes de lecture.
[13] Pour une étude importante récente qui poursuit et développe les analyses de H&C pour les États-Unis, voir Robert McChesney, The Problem of the Media : U.S. Communication Politics in the 21st Century, Monthly Review Press, New York, 2004. Pour une critique toute récente des médias britanniques, voir l’ouvrage des animateurs de l’observatoire Media Lens (www.medialens.org), David Edwards et David Cromwell, Guardians of Power : The Myth of the Liberal Media, Pluto Press, Londres, 2006. Il serait possible de citer encore plusieurs autres ouvrages récents de chercheur/es critiques analysant le comportement des médias sur diverses questions spécifiques, en affinité avec les thèses de H&C.
[14] PC pensait-il, par exemple, à Louis Althusser pour qui « l’information (presse, radio-télé, etc.) », y compris les médias privés, constitue un « appareil idéologique d’État »… ?
[15] Marx, Le 18 brumaire de Louis Bonaparte, IVe partie, sur www.marxists.org/francais/ma… (je donne la référence Internet parce qu’elle est facilement accessible).
[16] Karl Marx, « The Indian Revolt », New York Daily Tribune, 16 septembre 1857, dans Marx and Engels, On Britain, Foreign Languages Publishing House, Moscou, 1953, p.453. Pour le contexte et mon commentaire, voir mon ouvrage Le Choc des barbaries, 10/18, Paris, 2004, pp.44-46. Les exemples du même type abondent dans les écrits marxiens de l’exil anglais, y compris Le Capital.
[17] Marx, La Guerre civile en France, IIe partie, Internet (même site).
[18] Marx, Der Bürgerkrieg in Frankreich, dans MEW, vol. 17, p.332.
[19] Marx, La Guerre civile en France, IIe partie, Internet, même site (die « Lakaien von der Presse », Marx, Der Bürgerkrieg in Frankreich, op. cit., p.343).
[20] C’est ainsi que Noam Chomsky, malgré son immense notoriété, est beaucoup moins présent dans les médias de masse états-uniens que certains membres du comité de rédaction de ContreTemps dans les médias français.