Prostitution : les filières africaines décortiquées
par Olivier Enogo
Après le documentaire, le livre
Dans son premier livre, « Les filières africaines de la prostitution. Mémoires d’une enquête » (Éditions Ccinia Communication), le journaliste et réalisateur Olivier Enogo revient sur les cinq années d’investigation effectuées pour réaliser son documentaire éponyme diffusé en 2005. Il montre les réalités d’un commerce méconnu, sordide, insidieux et brutal.
Par A. Mbono
Sauf à vivre coupé du monde, impossible de ne pas être au courant de l’existence de ces silhouettes féminines qui s’alignent toutes les nuits le long des chaussées bitumées des grandes agglomérations, avec pour objectif une expéditive consommation charnelle moyennant finance. De ces jeunes filles, on ne sait finalement que peu de chose. Le décor du livre Les filières africaines de la prostitution. Mémoires d’une enquête (éditions Ccinia Communication) est posé.
Dès la première ligne, le ton est donné avec la préface de Me Danielle Babin Kololo, avocate et présidente de Volte-Face, association fortement engagée dans la sensibilisation contre la prostitution. De suite, une seconde voie est ouverte. L’histoire d’Adèle, cette jeune femme ivoirienne en quête du Graal, qui semblait un peu banale de prime abord, se mue en cauchemar, poignardée en plein Paris par son proxénète. Sa maman retrouvée quelques temps après grâce à des appels lancés sur les ondes de RFI, dira : « Dans son malheur, ma fille a eu la chance de vous croiser ; je ne veux pas un film sur elle, faites-le pour toutes les autres. » Faire vivre le symbole Adèle en mémoire de toutes les prostituées sans-papiers assassinées dont on entendra jamais parler…
Puis le livre enchaîne les témoignages sous forme de dépositions récoltées. Claire Quidet, Rapporteuse à l’Onu sur la prostitution infantile parle de cercle vicieux : « On veut absolument protéger les victimes de trafic, mais on ne veut certainement pas que parce qu’on donnerait un statut aux victimes du trafic, qu’il y ait encore plus d’afflux de personnes qui arrivent à la prostitution. » Ce en quoi Me Constant Roger Mbongo, avocat au barreau de Paris et défenseur de proxénètes ajoute : « On a beau critiquer le G7, les pays occidentaux, nous avons maintenant une mentalité qui est d’une médiocrité qu’il faut dire. » L’Afrique justement n’est pas en reste. Suzanne Mbomback, ministre camerounaise de la Promotion de la Femme et de ma Famille esquisse une réponse embarrassée « Nous voulons avoir un ministère de la Femme, nous sommes capables de représenter notre pays à tous les niveaux, capables d’aller parler des autres femmes, capables de porter au loin les efforts que le chef de l’Etat fait, de les rendre visibles sur la scène internationale. »
L’ouvrage est découpé en deux parties. La première relate ses 5 années d’enquête, les contacts qu’il a noué avec les prostituées, proxénètes, clients, policiers rencontrés. Comment il a été affecté, ainsi que ses proches par ce travail de longue haleine. L’envers du décor également, toutes les péripéties non filmées ou coupées au montage. Sous le ton de la confidence, en reprenant ses notes intimes, le journaliste d’investigation flagelle son récit, déconcerte les dialogues. Son obsession : déblayer les voies et les chemins menant à la prostitution, des gros réseaux calqués sur les modèles des filières de l’Est aux micros structures gérés par les « Mamas », ces femmes proxénètes. « Il y a des Mamas peut-être qui continuent, mais le boss là-haut, ça doit être un plus fort. Les Mamas, c’est de l’intendance. Elles peuvent jouer les stars. Elles ont de gros salaires. C’est pour cela qu’elles élèvent des villas en moins d’une semaine. Bien sûr, c’est l’arbre qui cache la forêt », précise Claude Boucher, présidente du Bus des Femmes, association de défense créée en 1990 à l’initiative d’anciennes prostituées. « Quand un père ou une mère dit à son enfant débrouillez-vous, vous pensez à quoi ? Débrouillez-vous, vous n’avez pas les moyens, vous pensez à quoi ? Comment allez-vous faire pour faire venir la richesse ? La prostitution a beaucoup de degrés », se défend un étudiant doctorant en Droit.
L’un des plus grands défis de la prochaine décennier
Sexe business, cybermarché du mariage, sortilèges décochés, zoophilie , laxisme politiques, connivences administratives… Comme un chien profondément éclopé par ses découvertes, l’auteur n’a jamais autant montré les crocs et aboyé contre ce qu’il qualifie de « nouvelle traite des Noirs ». Des révélations enrichies par Carole Bartoli du Réseau international de lutte contre la prostitution. « Un trafic vient également des pays lointains, d’Afrique, et là c’est lié aux conditions politiques, aux difficultés de contextes de guerre de ces enfants-là. Ça continue encore et là, ce qui est constaté, c’est une prostitution qui est cachée. » Olivier Enogo entend placarder ce combat qui s’annonce selon lui, comme l’un des plus grands défis de la prochaine décennie. « Les candidats à l’aventure, attirés par le mirage européen sont de plus en plus nombreux. Au lieu d’attiser la polémique inutile, pour ma part, je préfère dépenser mon énergie aux côtés de ceux qui tentent de mettre le feu à la poudrière de l’exploitation sexuelle des êtres humains. Je ne peux pas croire qu’il n’existe aucun moyen pour remédier aux drames qui peuvent survenir de l’émigration des « Blackettes ». » Une vérité déclinée en allitérations martelées dans les 150 pages du livre qui se lisent presque d’une traite. Un combat qui dépasse largement son ouvrage. Non seulement par la complexité de l’univers de la traite des Êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle, mais aussi à travers les liens que cette pandémie a créés entre victimes et bourreaux.
Illustration sur le terrain : « Je suis tombée enceinte à deux reprises. Monsieur XXXXX m’a avorté lui-même en me donnant des pilules et lorsque l’avortement commençait, il prenait une lampe torche, me demandait d’écarter les jambes et il finissait de m’avorter avec des piques de brochettes. » Extrait du Procès verbal d’une affaire contre X au motif de viol, séquestration et vol. L’objet de la plainte : victime d’un avortement et de proxénétisme. « Moi j’ai des cas où on prend des effets souillés de la personne, on la rase, et quand on a la jeune fille dans le service, quand on l’entend, elle dit : Mais moi je ne peux rien vous dire, vous ne savez pas ce que c’est le maraboutage, je risque de mourir et si je ne meurs pas, je vais devenir folle » intercale le Commissaire divisionnaire J. M. Colombani, de la Direction de la police nationale française. « Au niveau de l’Union Européenne, ils commencent à trouver des termes Trafic des Êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle. C’est de la prostitution, point barre. Qu’on arrête de nous entourlouper ! » conclut Amely-James Koh Bela, présidente de l’association de lutte et de sensibilisation, Mayina.
Avec sa plume, le néo-écrivain ne prend aucun risque, mais déploie avec une grande facilité son style précis. Sous le brillant des reparties, malgré les commentaires acides des antagonistes, on découvrira entre les lignes la fêlure de l’auteur : « Les filières africaines de la prostitution resteront pour moi une enquête qui ne ressemble à aucune de celles que j’ai connues par le passé. Elle me pourchasse jusqu’à ce jour, harcelant la vie des miens. Je souhaite donc que ce livre, tout comme le film, soit un contrepoison pour susciter non pas de la compassion, mais l’éveil des consciences sur un fléau qui gangrène l’avenir de plusieurs générations. » L’enquête avait donné lieu à un documentaire, diffusé depuis sur Planète notamment et dans plusieurs festivals, dont la retranscription fait figure de seconde partie du livre. Au fond, sous couvert de confidences, Olivier Enogo installe le lecteur dans sa propre conscience avec la projection de toutes ses pensées tout au long de ses investigations. La séance vaut le détour, une expérience littéraire qui se révèle passionnante à condition d’être prêt à affronter des univers quasiment insoupçonnables mais bien réels.
Olivier Enogo Les filières africaines de la prostitution. Mémoires d’une enquête, éditions Ccinia Communication, 150p, 2007.
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Olivier Enogo passe sur RFI, interviewé par Christophe Boisbouvier le 8 novembre, 6h45 (8h45 GMT)
La prostitution masculine africaine en Europe
Les dessous d’un domaine méconnu.
Témoignage d’Amely-James Koh Bela.
La prostitution africaine en Occident ne touche pas uniquement les femmes. Les hommes sont, eux aussi, touchés par le phénomène. Leur milieu revêt ses propres spécificités, comme le fait que des pères de famille s’adonnent plus ou moins clandestinement à ces activités ou que des hétérosexuels consentent à des pratiques homosexuelles. Amély-James Koh Bela, auteur du livre La prostitution africaine en Occident, nous plonge au cœur d’un système méconnu, tenu par l’argent, la drogue et les pressions familiales.
Par David Cadasse et Koceila Bouhanik
Père de famille et prostitué, hétérosexuel et prostitué homosexuel, gigolo. Telles sont quelques-unes des spécificités de la prostitution masculine africaine en Occident, qui partage avec celle des femmes la même détresse et la même spécialisation dans les pratiques extrêmes, à l’image de la zoophilie. Amély-James Koh Bela, présidente de la cellule information, formation et du trafic humain au sein de l’Organisation non gouvernementale Aide Fédération et auteur du livre La prostitution africaine en Occident , trace les grands traits d’une branche méconnue mais pour le moins active : la prostitution des hommes.
Afrik.com : Quels types de pratiques retrouve-t-on dans la prostitution masculine africaine en Occident ?
Amély-James Koh Bela : Comme pour les femmes, on retrouve beaucoup la zoophilie (rapports sexuels avec des animaux, ndlr), de même que les fantasmes pédophiles. Plus classiquement, on retrouve tous les types de pratiques homosexuelles, qui sont très développées. Le plus souvent pourtant, ces prostitués sont parfaitement hétérosexuels et même des pères de famille.
Afrik.com : On a du mal à concevoir que des hétérosexuels s’adonnent à une prostitution homosexuelle !
Amély-James Koh Bela : Les hétérosexuels qui acceptent des pratiques homosexuelles n’ont qu’une seule et unique motivation : l’argent. Tous sont dans des situations économiques difficiles et la prostitution homosexuelle intervient alors en dernier recours. En effet, le métier de « gigolo » rapporte moins.
Afrik.com : Qu’est ce qui différencie un gigolo d’un prostitué ?
Amély-James Koh Bela : Il existe bel et bien une différence : le prostitué peut avoir des rapports homosexuels, zoophiles, hétérosexuels, etc. Le gigolo, lui, ne s’occupe que des femmes.
Afrik.com : Quelle est la pratique la plus courante en matière de prostitution masculine africaine en Occident ?
Amély-James Koh Bela : La mode en ce moment, et la pratique la plus répandue, c’est le jeune black que va payer un couple pour faire l’amour à la femme. Le fantasme du « black bien monté » perdure toujours. Il existe même maintenant des codes sur Internet, dans les journaux gratuits, dans les petites annonces où des couples recherchent un ou plusieurs jeunes Africains pour se payer leurs services. Un, deux, trois ou plus s’activent sur la femme pendant que le mari regarde. Dans cette relation se développe un rapport de maître à esclave : le mari dit quoi faire, comment faire, donne des ordres, mais interdit formellement au jeune de se finir dans sa femme ou sur elle. Cela est ressenti comme une humiliation par ces jeunes car l’homme devient une machine.
Afrik.com : Qu’en est-il des gigolos, dont on peut également considérer l’activité comme de la prostitution puisque les hommes se font payer pour leurs prestations sexuelles ?
Amély-James Koh Bela : En ce qui concerne les gigolos à proprement parler, ils sont abondants en France où ils évoluent notamment dans les milieux bourgeois, là où les femmes aisées recherchent les « petits blacks ». Au fur et à mesure, des réseaux se forment. D’ailleurs, ce système connaît un tel succès que les salaires sont en augmentation depuis 2 ans. La passe est à 100 euros, mais il faut aussi compter l’entretien comme les voyages, où la femme emmène le jeune avec elle, par exemple. Beaucoup de jeunes Africains ont recours à ce système, car selon eux, ils font une bonne affaire. En effet, ils considèrent comme une aubaine de coucher avec des femmes et d’être payés pour.
Afrik.com : Et en ce qui concerne les pratiques zoophiles dans la prostitution masculine africaine ?
Amély-James Koh Bela : C’est un secteur prospère, comme chez les Africaines. Des grilles de tarifs ont même été instaurées. Par exemple, il y a une différence entre les tournages vidéo commerciaux et privés de zoophilie. Les tournages privés (chez des particuliers, ndlr) se déroulent jusqu’à plusieurs fois par semaine et rapportent énormément au prostitué. Les tournages commerciaux, eux, sont ponctuels : une fois par semaine, par mois, ou autre.
Afrik.com : Les prostitués qui s’adonnent à ces pratiques sont-ils tous consentants ?
Amély-James Koh Bela : Comment pensez-vous qu’un homme normalement constitué puisse se donner à un chien ? Ces gens se droguent car certaines pratiques sexuelles ne peuvent pas se faire sans, ne serait-ce que pour lutter contre la douleur ou se donner une raison de le faire. Et au fil du temps malheureusement, la dépendance s’installe. Il existe aussi une véritable dépendance financière. Ces hommes deviennent accros à l’argent en dépit de la destruction du corps et de l’esprit. Ils sont déprimés, ont honte mais continuent car l’apport économique est très important. Cela peut aller jusqu’à 5 000 euros par semaine au minimum pour certains. Comparativement au Smic (Salaire Minimum Interprofessionnel de Croissance, aux alentours de 1 100 euros par mois, ndlr), il n’y a pas photo.
Afrik.com : Le facteur argent est omniprésent dans ce trafic ?
Amély-James Koh Bela : Oui, c’est sur l’argent que tout repose, pour les prostitués comme pour les macs. Mais comme je vous l’ai dit, les raisons de cette prostitution sont avant tout économiques, car les conditions de vie européennes sont difficiles, surtout lorsque l’on n’a pas de papiers, pas de travail, pas de logement. Il faut dire que ces jeunes Africains ont souvent été lâchés à leur arrivée par leurs « frères », ceux-là même qui les avaient ramenés du pays.
Afrik.com : Existe-t-il des réseaux de prostitution masculine ?
Amély-James Koh Bela : Bien sûr ! Cette prostitution fonctionne à l’identique de celle des femmes. C’est un cercle vicieux : plus les prostitués agrandissent leurs cercles de clientèle, plus ils ont besoin de « main-d’œuvre ». Pour cela, ils amènent directement des frères d’Afrique, ou c’est leur proxénète, s’ils en ont un, qui s’en occupe. Il fait des faux papiers, fait venir les prostitués par dizaines de tous les pays, briefe sur le travail à venir, forme par des séances vidéos de deux ou trois jours, trouve les clients, et bien entendu, prend sa part sur le salaire. Les violences peuvent être très graves si les jeunes se rebellent ou volent de l’argent. Cela peut même aller jusqu’à l’assassinat.
Afrik.com : Y a-t-il un profil type du prostitué africain ?
Amély-James Koh Bela : Les plus jeunes ont entre 16 et 20 ans, et sont vieillis sur les papiers lorsqu’ils n’ont pas l’âge légal en France. Mais il existe tous les âges chez les prostitués. J’ai même vu des papas de 55 ans. Souvent, ils sont pères de familles, mais en général, la famille ne sait pas qu’ils se prostituent. Leur activité est souvent cachée par un « emploi » comme des petits travaux de jardinage, de ménage, de maçonnerie, etc. Ce qui permet de ne pas changer leurs habitudes de vie aux yeux de leur famille. Dans d’autres cas, les femmes assument le travail du mari et sont parfois elles-mêmes issues de ce milieu. L’ampleur de ce trafic est vraiment très grande et touche toutes les nationalités : Maliens, Camerounais, Ivoiriens, Congolais, Ghanéens, etc. Tous sans exception.
Afrik.com : Comment ces hommes en viennent à vous contacter ?
Amély-James Koh Bela : Généralement, j’entre en contact avec eux après une délation. Mais les prostitués viennent aussi nous voir d’eux-mêmes après avoir été informés par des femmes prostituées. En effet, les deux milieux communiquent. Ils entrent parfois en contact avec les Organisations Non Gouvernementales, dont Aides Fédération, pour des problèmes de domiciliation ou de papiers et y découvrent au final un lieu d’écoute, de parole. Pourtant, les prostitués ont beaucoup de difficultés à se confier à moi car je suis une femme. La première réaction est souvent agressive, violente, du genre : « arrêtes de me faire la leçon, tu sais mieux que nous à quel point c’est difficile ». Alors j’essaie de me positionner en tant que mère ou grande sœur et les mots commencent à sortir. Les pleurs aussi. Tous refusent le mot « prostitution ». Pour eux, il s’agit d’un « sacrifice », de « débrouille », mais ils estiment ne pas avoir d’autre choix.
Afrik.com : Rencontre-t-on la même détresse chez les prostitués hommes que chez les femmes ?
Amély-James Koh Bela : La détresse physique et psychologique est la même pour tous. Certes les violences au cours de l’acte et les mutilations physiques sont plus marquées chez les femmes, mais il faut reconnaître que la sodomie pour un hétérosexuel est aussi une forme de mutilation. Ajouté à cela les pratiques zoophiles, l’humiliation, la drogue et les conditions de vie terribles dans lesquelles ils vivent, tout cela rend ces gens très vulnérables, profondément atteints dans leur être. Ce sont des personnes en grande demande de soutien.
Afrik.com : Pourquoi ne décident-ils tout simplement pas de décrocher et de rentrer au pays ?
Amély-James Koh Bela : Retourner au pays représenterait une grande honte pour la famille là-bas. D’ailleurs, celles-ci font peser une pression immense sur les enfants, dont certains ont des diplômes. Ce sont les aînés et ils ont des responsabilités devant leur famille qui les attend et compte beaucoup (trop) sur eux.
Afrik.com : Les familles sont-elles au courant de l’activité de leurs enfants ?
Amély-James Koh Bela : Il y a quelque temps, les familles étaient dans le flou, certaines savaient, d’autres pas. Mais aujourd’hui, les familles sont, en majeure partie, au courant de l’activité des enfants. Le problème, c’est qu’elles ne voient que l’argent que cela rapporte les incitent soit directement, soit implicitement à continuer à se prostituer. La famille, à cause de cette complicité active ou passive qu’elle entretient, agit ici comme une sorte de proxénète.
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Prostitution : La nouvelle traite des Noirs
La prostitution en Europe et plus particulièrement en France est de plus en plus le fait d’étrangers. La filière de l’Est est dans ce contexte la plus connue. Moins médiatisée, celle issue du continent africain notamment de la région sub-saharienne contribue également à cette nouvelle configuration de l’industrie du sexe. Panorama d’un phénomène qui fait de la prostitution une pseudo alternative à la misère.
samedi 24 avril 2004, par F. G. |
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Les quartiers chauds du XVIIIe arrondissement de Paris, de la gare du Nord à la porte de Clignancourt, sont les sites privilégiés des péripatéticiennes africaines, pour la plupart originaires de la région subsaharienne. « À tel point que lorsque vous êtes noire et que vous parcourez ces rues, vous êtes systématiquement prise pour une prostituée », constate Amely James Koh Bela, présidente de la Commission de l’information et de la formation à la Fédération des agences internationales pour le développement, une organisation non gouvernementale (ONG) d’action humanitaire et d’aide au développement. La France compte entre 15 000 prostitué(e)s dont près de 7 000 à Paris. « 80 % sont étrangers, dont un peu plus de 40 % viennent des Balkans et 37 % sont d’origine africaine », pouvait-on lire dans l’Humanité du 20 décembre 2003.
« Les filles d’Afrique »
Ces chiffres (des statistiques récentes sont indisponibles au moment où nous écrivons cet article, ndlr) – datent de 1999. Ils ne reflètent évidemment pas la réalité mais témoignent du nouveau visage de la prostitution en Europe et en France, notamment en région parisienne : la place croissante des étrangères. Parmi elles, les « filles de l’Est », qui sont débarquées régulièrement sur les trottoirs français. Mais qu’en est-il des « filles du Sud, d’Afrique » ? « Nous sommes passés de la traite des Noirs à la traite des Blanches puis à la traite des Noires », constate Bernard Lemettre, président national du Mouvement du Nid qui milite contre la prostitution en France. « A Lille où je suis, je vois plus d’Africaines que de filles de l’Est. C’est également un constat qui a été effectué dans les 33 délégations dont nous disposons dans toute la France », ajoute le président de l’ONG.
Les femmes africaines seraient, en effet, de plus en plus nombreuses. En 1999, en France, « elles venaient du Maghreb (Algérie et Maroc), d’Afrique noire francophone (du Cameroun en majorité) ou anglophone (Ghana et Nigeria), indiquaient les statistiques de l’Office central pour la répression du trafic des êtres humains (OCRTEH). En région parisienne, elles sont également ressortissantes de pays en guerre comme la Sierra Léone et le Libéria. Par ailleurs, selon l’OCRTEH, plus de 50 % des prostituées africaines en Europe sont originaires du Nigeria. La filière ghanéenne est aussi bien connue par les polices européennes. La Suisse reste la chasse gardée des Camerounaises, et la Belgique le fief des ressortissantes des deux Congos.
Pratiques lucratives et malsaines
Famille, solidarité, désorganisation, pouvoir de l’argent sont des problématiques que l’on retrouve dans les filières africaines : leur organisation est à l’image du continent. Ainsi, la prostitution des Africaines en Europe diffère, dans une certaine mesure, de celle des pays de l’Est ou d’Asie. Et pour cause, elle est souvent d’origine familiale. Les femmes victimes ne sont pas kidnappées comme dans les pays de l’Est. Selon Amely James Koh Bela, c’est souvent un frère, une tante, une cousine éloignée ou même un mari qui amène ces jeunes femmes à la prostitution. Les moyens : le proxénète fait miroiter un avenir meilleur, la possibilité de faire des études etc. Des mensonges que la pauvreté rend vraisemblables.
Mais il dispose également de moyens de pression, outre la violence, pour maintenir son emprise sur les victimes qui découvrent bien assez tôt la supercherie. La sorcellerie, par exemple, est souvent utilisée dans le cas des Nigérianes. On les menace de jeter un sort aux membres de leur famille. Par ailleurs, les victimes deviennent souvent elles-mêmes des bourreaux notamment en ce qui concerne la filière nigériane en Italie. Les femmes – les « Mamas » – qui sont impliquées dans la traite sont souvent des anciennes victimes qui ont gravi les échelons. Quant aux femmes mariées, elles se prostituent souvent à domicile, comme certaines jeunes filles qui vivent avec des « pseudo » oncles et tantes. Bien des médecins le savent en France, indique Amely James Koh-Bela. Elles reçoivent aussi, dans des cars autour du bois de Boulogne (Paris), leurs clients avec la bénédiction de leurs époux. La chose serait souvent pratiquée dans la communauté camerounaise et certaines femmes viendraient spécialement du pays pendant la période estivale pour « travailler ». Les femmes se prostituent également dans les magasins de Château rouge (zone de Paris où l’on retrouve une forte communauté africaine, ndlr) en échange de produits vivriers.
La prégnance de l’argent est l’autre caractéristique de la filière africaine. Pourquoi ? Les prostituées africaines seraient impliquées dans les pratiques les plus abjectes et par conséquent les plus lucratives : zoophilie, scatologie (l’excrément est un accessoire sexuel, ndlr), fist-fuking (introduction des poings, pieds, objets de tous types : fruits, légumes, bouteilles dans les orifices génitaux, ndlr), ondinisme (l’urine est un objet de plaisir, ndlr), sado-masochisme, dracula (amateurs de menstrues, ndlr) etc. Copuler pendant une heure avec un chien rapporterait environ 4 500 euros. À noter que ce n’est pas un ouvrier qui pourra se payer ce genre de « gâterie ». « Si l’on arrêtait tous les clients (des prostituées, ndlr), il n’y aurait plus personne à la tête de l’Etat », affirmait, Mme Hoa, ministre vietnamien du Nord de la Santé en 1995 [1]. La prostitution est aussi d’une certaine manière une affaire d’Etat et de pouvoir, d’un côté comme de l’autre. Surtout quand on retrouve chez certaines prostituées des passeports diplomatiques. « La filière centrafricaine qui est constituée de Camerounais et de ressortissants des deux Congo [...] bénéficient d’immunité quasi-diplomatique », peut-on lire dans un document de l’ONG Aide sur la filière africaine de la prostitution.
Marginalisées et victimes du sida
Autre mine d’or : les cassettes pornographiques dont les instigateurs ne reculent devant rien pour satisfaire une clientèle de plus en plus perverse. La plus connue reste celle concernant le « Mapouka », la danse traditionnelle ivoirienne qui a été transformée en danse obscène à cause du déhanchement fessier qu’il implique. Sur le marché, c’est l’une des plus prisées : elle coûte 60 euros alors que les orgies sénégalaises ou camerounaises stagnent à 5 euros. Ces cassettes ont aussi cette particularité de stigmatiser une communauté. Leurs titres : Orgie camerounaise, L’amour à l’africaine.
Infections diverses, relâchement des muscles génitaux, mutilations corporelles deviennent le lot quotidien des travailleuses du sexe qui se réfugient dans la drogue et l’alcool pour subir l’intolérable. De plus, le sida guette : « Les Africaines sont connues pour accepter des choses que les autres n’accepteraient jamais », affirme Amely James Koh Bela. Comme d’avoir des relations sans préservatif. Elles deviennent ainsi, outre ces souffrances innommables, une proie facile pour le sida qui fait des ravages dans la communauté sub-saharienne en France mais plus particulièrement en région parisienne. De plus, les prostituées africaines sont souvent agressées ou assassinées par les filles de l’Est qui les accusent de casser les prix. Ce qui n’est pas faux. Le prix standard d’une passe est de 20 euros. A Château-Rouge, les Ghanéennes offriraient leurs services pour 8 euros.
À qui profite le crime ? Souvent à la famille
Selon l’OCRTEH, en 2001, le commerce du sexe rapportait, en France, aux proxénètes 80% des revenus générés par chacune de leurs prostituées, soit 1, 6 milliard d’euros et en 2002 ce chiffre a doublé et a atteint 3, 5 milliards. Cependant les proxénètes ne sont pas les seuls à profiter de cette manne financière surtout dans le cas des Africaines. Car la « solidarité africaine » a aussi ses effets pervers. Et la prostitution le démontre. Quand certains parents n’ont pas eux-mêmes livré leurs enfants sur les célèbres plages sénégalaises bien connues des pédophiles, d’autres continuent bien malgré eux à avilir leur progéniture sans le savoir. Les gains issus de la prostitution sont souvent rapatriés pour faire vivre une famille, investir dans l’immobilier ou dans des petites affaires. Ni les familles, ni l’entourage ne connaîtront jamais l’origine scabreuse de ces fonds. La honte ou la mort ont bien souvent raison des victimes qui elles-mêmes ou leurs souteneurs renvoient d’elles des images de la réussite.
Comble du malheur, certains parents accablés par la pauvreté, poussent inconsciemment à la débauche. Armés de « Toi, tu es là, tu bouffes ma nourriture tous les jours, mais rien ! Tu vois pas, elle a épousé un Blanc » ou « Elle a acheté une voiture ou construit une maison pour sa mère » Avec quel argent ? Et de poursuivre, « Toi tu ne peux pas aller te débrouiller aussi ! ». On comprend alors que certaines jeunes filles se ruent sur Internet à la recherche du « Blanc » qui les délivrera de la misère tel un prince sur son cheval. Beaucoup d’entre elles tombent sur des princes… mais du mal. Comme cette jeune Camerounaise qui a défrayé la chronique et qui, accablée par la honte, a fini par mettre fin à ces jours. Son contact européen lui avait demandé des photos d’elle nue. Ce qu’elle s’est empressée de fournir. Les photos, elle les retrouvera plus tard sur le Net : elles ont fait quasiment le tour du monde sinon d’Afrique. Le mannequinat, autre moulin à rêves, est un moyen de recrutement privilégié pour ces chasseurs de têtes du sexe.
Victimes innocentes et mâles consentants
Les prostitués africaines sont également de plus en plus des mineurs. « On a constaté, ces cinq dernières années, à côté des enfants de l’Est, de plus en plus de mineurs d’origine africaine notamment des jeunes filles qui ont entre 14 et 18 ans, indique Carole Bartoli, coordinatrice des programmes pour ECPAT France, un réseau international d’organisations travaillant ensemble pour éradiquer la prostitution enfantine, la pornographie enfantine et le trafic d’enfants à des fins sexuelles. L’Europe se protège en effet contre la pédophilie et par conséquent les regards se tournent, après l’Asie, vers l’Afrique.
Enfin les hommes ne sont pas en reste : d’honorables pères de famille se transformeraient ainsi en hardeurs auprès de vaches pour arrondir les fins du mois. Les visages de la prostitution sont multiples et leurs caractéristiques en font un véritable problème de société. Notamment en ce qui concerne les Africains. La grande pauvreté qui sévit sur le continent porte ceux qui y vivent à considérer, le plus souvent, l’Occident comme un nirvana. Et l’Afrique est en train, encore une fois de se vider de ses femmes, son essence, et de ses enfants, son avenir.
[1] in Les trafics du sexe, femmes et enfants marchandises de Claudine Legardinier aux Ed. Les Essentiels Milan
Dans l’enfer de la prostitution africaine en Europe
Amély-James Koh Bela,
ou l’engagement total d’une femme de terrain
Zoophilie, scatologie, pédophilie, prostitution familiale, drogue, règlements de compte, Amély-James Koh Bela aura tout vu en matière de prostitution africaine en Europe. Acteur social sur le terrain depuis plus de 12 ans, elle a dressé un état des lieux effrayant des pratiques et des réseaux à travers un ouvrage de référence. Mais comment a-t-elle traversé cet univers de perversion et de violence en tant que femme et qu’être humain ? Les séquelles psychologiques sont profondes mais son engagement intact. Interview.
lundi 8 novembre 2004, par David Cadasse |
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Voir des femmes faire l’amour avec des chiens, discuter avec des mères qui prostituent leurs enfants à domicile, être directement confrontée à la pédophilie, c’est ce qu’Amély-James Koh Bela a dû, entre autres, affronter pendant plus de douze ans dans le cadre de son enquête sur la prostitution africaine en Europe, titre de son ouvrage qu’elle a tout récemment publiée. Un travail de longue haleine, pour un cavalier seul courageux et militant. Peut-on sortir indemne d’une telle expérience ? Est-on hantée par les images chocs, de violence ou de douleur ? Comment fait-on pour aller au-delà et continuer la lutte ? Amély-James témoigne…
Afrik : Vous avez été témoin de choses très violentes pendant vos douze ans de travail et d’observation sur le terrain. Comment sort-on d’une telle expérience ?
Amély-James Koh Bela : On ne sort pas de là sans séquelle. Je suis une femme meurtrie, choquée, blessée et qui regarde la gent masculine avec un peu de distance. J’ai été témoin de choses extrêmement dures. Ce ne sont pas des cassettes que j’ai regardées : c’est la vérité. J’ai des images qui me reviennent tout le temps. De jour comme de nuit. Il suffit que je sois seule pour que les choses remontent à la surface. Il n’y a pas un soir où je ne revois pas les filles. Celles qu’on a perdues dans les suicides ou les règlements de comptes entre filles, qui n’hésitent pas à se lacérer à coups de couteau. Je pense aussi à toutes celles avec des déchirements vaginaux ou anaux terribles. C’est comme si je revivais les situations. Chaque fois que je tombe sur une fille blessée, j’ai mal. J’ai l’impression que j’ai la même blessure qu’elle.
Afrik : Quel est le souvenir le plus émouvant que vous ayez ?
Amély-James Koh Bela : Le souvenir le plus émouvant dont je me souvienne est celui d’un petit garçon qui était prostitué dans sa maison par sa tata. Le jour où je suis allée voir cette femme, le petit garçon de sept ans vient vers moi en larmes, me serre très fort en me demandant de dire à sa « maman » de me promettre que le Monsieur Blanc qui vient le soir ne le touchera plus. Nous étions tous en larmes. Et la « maman » me dit : « Si je prostitue encore cet enfant, il vaut mieux que tu me mettes à la police. Je te promets que je le toucherai plus ». Et je sais qu’elle ne l’a plus refait. Il avait déjà deux ans de prostitution derrière lui. Elle a demandé que l’enfant aille vivre chez un autre oncle. Cet enfant est maintenant dans un lycée, il a eu son BEP (Brevet d’étude professionnel, ndlr) avec mention.
Afrik : Et votre souvenir le plus difficile ?
Amély-James Koh Bela : Je parle toujours de ce petit garçon qui refuse de me lâcher, qui m’attrape la main tellement il a mal. Il sort d’une passe et a les fesses en sang. Pour qu’il arrête de pleurer, je suis obligée de l’accompagner aux urgences à l’hôpital cette nuit-là. On a retrouvé dans son corps des petits morceaux de carotte. Tout ça pour 70 euros. Que l’enfant a même abandonnés sur le trottoir tellement il souffrait.
Afrik : Avez-vous déjà craqué sur le terrain ?
Amély-James Koh Bela : Les pompiers sont plusieurs fois venus sauver une fille et moi j’étais à côté avec une perfusion. Aujourd’hui j’en parle avec détachement, mais croyez moi, les trois premières années, j’étais aussi malade que les filles. J’avais des malaises. Parfois je m’évanouissais.
Afrik.com : Comment trouve-t-on la force de continuer quand on est témoin de choses dont on sait qu’elles vont nous faire si mal ?
Amély-James Koh Bela : Je ne parle pas beaucoup de ma vie, mais je suis quelqu’un qui a eu une enfance très difficile. Donc j’ai trouvé la force de continuer en me surpassant. J’utilisais mes douleurs pour aller au-delà. Et c’est le même schéma aujourd’hui. Chaque fois que j’ai une souffrance en face de moi, elle me donne du courage. Je surpasse la douleur. Je sors de là détruite, mais je sors quand même. Ce fut un énorme sacrifice, mais qui en valait le coup.
Afrik.com : Comment avez-vous réagi par rapport à certaines pornographies extrêmes, type scatologie ou zoophilie ?
Amély-James Koh Bela : J’ai été extrêmement choquée par certaines pratiques dont je ne soupçonnais même pas l’existence, comme la scatologie (le fait de manger des excréments, ndlr). Au départ je mettais les discours que j’entendais sur le compte de la drogue ou de la folie. Je me suis infiltrée un jour sur le tournage d’un film zoophile, j’ai été traumatisée. Je n’arrivais plus à manger. Je suis tombée malade, j’ai été hospitalisée deux semaines. J’ai eu besoin d’un psy pendant six mois pour évacuer le choc. J’ai repris le dessus, mais je vous jure que pendant des années je n’ai pas pu regarder un homme dans les yeux.
Afrik.com : Est-ce que les filles qui font cela assument leurs actes ?
Amély-James Koh Bela : Il y a une fille qui m’a envoyé un email pour m’engueuler après un passage sur la radio RFI. « Oui je mange de la merde et je bois même des urines. L’odeur dérange mais après on s’en fout. Je mangerai autant de merde que je peux, mais si vous pouviez voir les yeux de ma mère quand je lui envoie de l’argent, vous arrêteriez de gueuler à la radio comme vous le faites. »
Afrik.com : Le fait de parler, de dénoncer certaines pratiques extrêmes, n’a-t-il pas l’effet inverse, car en somme vous intriguez beaucoup de personnes avec, ou vous attirez même les pervers ?
Amély-James Koh Bela : Malheureusement oui. Quand nous avons fait le dossier sur Afrik.com, j’ai fait l’erreur de donner le nom d’une cassette zoophile. En deux jours, le vendeur était en rupture de stock.
Afrik.com : Vous avez eu une large couverture médiatique sur votre travail. N’avez-vous pas peur que votre message soit perverti ?
Amély-Jales Koh Bela : C’est vrai que tout le monde essaie de récupérer le sujet. Mais beaucoup de journalistes se focalisent uniquement sur les pratiques. Une approche un peu voyeuriste du sujet que je déplore un peu.
Afrik.com : Concernant votre travail d’enquête, quels étaient vos rapports avec les proxénètes pour les filles dans la rue ?
Amély-James Koh Bela : Ils me toléraient. Ceux que j’ai rencontrés ne sont pas les gros bonnets, mais de simples surveillants. De toutes les manières je n’ai jamais été un problème pour les proxénètes, et ils me le faisaient bien comprendre en me narguant même parfois. Certains me disaient : « Continue d’aboyer, tu nous fais rire, continue de faire ta petite pub. Tu ne nous empêches pas de bosser, parce que si c’était le cas, tu ne serais plus là ». La personne me disait : « Demain je fais venir dix filles du Sénégal, juste pour te montrer que tu nous fait chier. Tous les gens que tu essaies d’alerter ce sont eux qui nous permettent de faire passer ces filles ». Il y en a qui n’hésitent pas dire qu’ils ont les téléphones portables de certains hauts responsables consulaires.
Afrik.com : N’est-ce pas là, dans ce cas, un combat illusoire que vous menez sur le terrain ?
Amély-James Koh Bela : C’est vrai que c’est un combat vide, parce qu’il n’y a pas de volonté politique de lutter contre ça. Et tant qu’il y aura une telle complicité, la prostitution aura de beaux jours devant elle. Mon combat auprès des proxénètes est à un autre niveau. Je leur ai demandé de commencer par ne pas mettre les filles qui sont là de force, encore moins les mineurs et les enfants.
Afrik.com : Quels étaient vos rapports avec les femmes qui prostituaient leurs enfants à domicile ?
Amély-James Koh Bela : Il faut bien remettre les choses dans leur contexte. Je ne suis pas chez les Albanais, mais dans un milieu africain. Je suis chez moi. Je suis parfois dans des maisons où je parle la langue. Donc quand je rentre dans une maison, je ne suis pas l’assistante sociale qui rentre avec ses cheveux blonds. Quand je parle à la femme qui prostitue ses enfants à domicile, je l’appelle maman ou mère. Je me place en tant que sa fille. Je ne la regarde pas dans les yeux. Je suis là comme une enfant qui implore sa mère de l’aider à sauver ses enfants.
Afrik.com : Comment étiez-vous au courant des différents cas ?
Amély-James Koh Bela : Par les associations. La plupart de ces femmes militent dans des associations pour construire des écoles en Afrique, contre le sida, pour les enfants déshérités… J’ai très souvent été mise sur les pistes par des délations. Du genre « Elle a beaucoup de dons parce que ces filles couchent avec un Blanc… ». Alors je prends des rendez-vous. Il faut y aller franco mais en y mettant tout le respect autour pour les adoucir. Je lui dis que je ne viens pas pour rien et que la rumeur dit ceci. Donc je suis venue te voir maman pour voir si c’est vrai parce qu’on ne sait jamais…
Afrik.com : Il semble invraisemblable de pouvoir rentrer dans une maison pour discuter avec des femmes sur le fait qu’elles prostituent chez elles leurs enfants. Comme avez-vous fait ?
Amély-James Koh Bela : C’est vrai qu’il faut au départ ruser pour entrer. Mais quand tu viens, la maman sait déjà qui tu es. Il y avait comme une sorte de pacte entre nous. Et c’est ce que beaucoup d’agents sociaux me reprochent. Ils considèrent cela comme de la collaboration. Je dis simplement que je fais un travail de sensibilisation. Il faut d’abord faire comprendre à la personne que ce qu’elle fait n’est pas bien. Ce travail là m’a permis de récolter de nombreuses informations sur le fonctionnement des pratiques. Ces informations seront mises à disposition des acteurs sociaux pour mieux surveiller des enfants d’origine africaine qui ont certains problèmes qu’on n’avait jamais pu comprendre jusqu’à présent. Et ils pourront mieux être pris en charge.
Afrik.com : Et quelles étaient les réactions des mères quand vous abordiez le sujet ?
Amély-James Koh Bela : Elles sont souvent très violentes les cinq premières minutes. « On t’a raconté n’importe quoi. C’est de la jalousie. Les gens ne m’aiment pas… ». Elles se calment souvent après, même si pour certaines j’ai dû revenir deux ou trois fois.
Afrik.com : Quels sentiments ont-elles par rapport à ce qu’elles font ?
Amély-James Koh Bela : Il y a comme un remords. Elles expliquent cela par une sorte de fatalité en pleurant qu’elles n’ont pas le choix. « Mais qu’est ce que tu veux que je fasse. Je suis dans un pays, je n’ai pas de papiers, mes enfants non plus, je fais les ménages, mais ça ne suffit pas. J’ai fait ça pour le bien de la famille, mais Dieu seul sait que je ne voulais pas le faire. » D’autres vous disent qu’elles préfèrent faire ça, parce que comme elles sont dans une cité chaude, elles disent qu’on va violer leur fille dans une cave et qu’elles préfèrent la protéger. Certaines sont carrément arrogantes. Elles vous disent qu’elles sont « fières parce qu’elles ont aidé 40 filles ». Toutes les femmes, quelles qu’elles soient, refusent le terme de « prostituer ». Il s’agit pour elles d’une aide.
Afrik.com : Un tel raisonnement concernant une adolescente pourrait tenir la route mais qu’est-ce qui amène des mères à prostituer des enfants cinq ans ?
Amély-James Koh Bela : Tout simplement la cupidité. Les femmes qui font ça sont bardées d’aides sociales. Elles cumulent tellement d’aides qu’elles peuvent se faire jusqu’à 2 000 euros par mois. Ce n’est pas l’argent qui manque. Mais il y a une course effrénée vers le fric. C’est le besoin de paraître qui importe, d’entretenir une certaine image en Afrique. Elles prennent le prétexte de conditions de vie difficiles en Europe, comme la régularisation des papiers, les discriminations…Or la plupart de ces femmes sont régularisées, certaines sont même françaises. L’autre élément qui facilite la pratique est que bien souvent ce ne sont pas leurs enfants. Elles arrivent donc plus facilement à s’en détacher. C’est l’enfant de la sœur, de la cousine, des enfants des rues ramassés par des complices.
Afrik.com : Finalement est-ce qu’elles regrettent ce qu’elles font ?
Amély-James Koh Bela : Certaines finissent en larmes, submergées par le remords. Elles veulent tout arrêter, recommencer une nouvelle vie. J’ai appris qu’il y en avait deux qui avaient demandé à ce qu’on place les enfants, parce qu’elles n’avaient pas la force d’arrêter. Beaucoup de femmes continuent malgré tout à prostituer les enfants. Le problème, encore une fois, est que dans leur tête, il ne s’agit pas de prostitution. Elles le font également pour défendre le statut qu’elles ont en Afrique.
Afrik.com : Certains acteurs sociaux considèrent que le fait que vous ne dénonciez pas les parents est un acte de collaboration. Au niveau de la loi, n’avez-vous pas une obligation de dénoncer ces mères proxénètes ?
Amély-James Koh Bela : J’ai fait un rapport sur ce dont j’avais été témoin en matière de prostitution des enfants dans les maisons que je suis allée présenter au Procureur de Paris et à la Brigade des mineurs. La Brigade des mineurs m’a dit qu’elle n’était pas au courant de ce type de pratiques, et m’a donné un numéro pour leur signaler les cas. Mais ils m’ont rappelé qu’ils ne pouvaient intervenir que s’il y avait des preuves, des flagrants délits et une plainte. Or aucun enfant ne porte plainte. Donc soit ils sont rendus à la famille, soit ils sont directement placés à la Direction des Affaires sanitaires et sociales (Dass). Ce qui est loin d’être la meilleure solution. Je ne suis pas là pour faire de la répression mais de la sensibilisation. J’explique à ces femmes ce qu’elles risquent avec ce qu’elles font. Je leur rappelle le droit des enfants. J’estime tout de même que j’ai une responsabilité vis-à-vis des enfants, parce que partir après avoir découvert ce qu’ils subissent, c’est comme si je les laissais à leur triste sort. Pour certains d’entre eux, nous avons réussi à trouver une autre personne du cercle familial pour lui demander de surveiller ces enfants.
Afrik.com : Qu’espérez-vous avec des actions qui ne soient pas répressives et des discours de sensibilisation sur ces femmes ?
Amély-James Koh Bela : J’espère premièrement toucher la conscience de ces personnes. Parce que je refuse de croire qu’elles en soient dépourvues. Si infime soit-elle. Je souhaiterais leur faire comprendre qu’aucune misère au monde ne justifie qu’on fasse violer une enfant tous les soirs à la maison. D’autant que les enfants ont en Afrique une dimension sacrée.
Afrik.com : Vous parliez des enfants africains qu’on envoie à la Dass, faute de solutions. Mais les enfants dans la même situation ne sont-ils pas tous, d’où qu’ils viennent, logés à la même enseigne ?
Amély-James Koh Bela : Il y a une inégalité dans le traitement des dossiers d’enfants issus de l’espace non communautaire (Europe, ndlr), donc africains. Sous prétexte que les enfants africains ne veulent pas parler, ils ne bénéficient d’aucune assistance. Alors qu’aucun enfant du milieu ne parle, c’est bien pour ça que les autorités françaises refusent de reconnaître la prostitution des mineurs parce qu’elles n’ont pas de preuves, pas de plainte ou de flagrant délit. Au contraire, les enfants issus de l’Union européenne seront tout de même suivis par des psychologues, des éducateurs, des médecins. Cela peut même aller jusqu’au changement d’identité.
Afrik.com : Qu’attendez-vous des autorités ?
Amély-James Koh Bela : Je voudrais que les autorités fassent une analyse médicale systématique de tous les mineurs de moins de 14 ans qui sont en situation de fugue, surtout de ceux qui habitent des maisons avec des tuteurs. Un enfant sexuellement exploité, ça se voit tout de suite. Dès lors, les enfants entreraient automatiquement dans le nombre des enfants dont on doit s’occuper prioritairement.
Afrik.com : Si les enfants ne portent pas plainte, comment expliquent-ils ce qu’ils font ?
Amély-James Koh Bela : Ils ne parlent pas, mais restent très agressifs. Ils ne parleront jamais en mal de la personne qui les a amenés. Ils estiment qu’elle leur a rendu service. Ils tiennent tous les mêmes discours. Même les enfants de sept ans ! Ils récitent ça par cœur, ce qui témoigne de la longue préparation psychologique qu’ils ont subie. « Ils sont là pour m’aider. C’est pour mon avenir. Je dois réussir. Quoi qu’il arrive. C’est difficile, mais c’est pour la famille. Je dois aider ma mère… » J’estime que c’est un véritable viol mental qu’ils ont subi. Certaines filles de 15 ans vous rentrent dedans parce que vous parlez mal de leur tante, qu’il ne s’agit pas de prostitution, qu’elles vont elles aussi se marier…Certains ne comprennent même pas ce qu’elles font dans les locaux des services sociaux.
Afrik.com : Quels messages aimeriez-vous faire passer à travers votre ouvrage et votre engagement ?
Amély-James Koh Bela : J’aimerai attirer l’attention sur le trafic d’êtres humains. L’Afrique, en matière de prostitution, est en train de prendre tout ce que l’Europe a de plus sale pour miser ses espoirs là-dessus. Il faut expliquer aux Africains que la vie est dure, mais que ce n’est que la solidarité qui nous fera dépasser les obstacles. Le deuxième message est pour nos parents qui ont démissionné de leur rôle. On fait un enfant en essayant de lui donner les moyens d’aller plus haut. Ce sont les valeurs qu’on donne à un enfant aujourd’hui qui feront de lui l’homme qu’il sera demain. Si on apprend à un enfant qu’il doit se prostituer pour avoir de l’argent, il pensera que son corps est sa seule source de revenu. Alors qu’il peut travailler. Même si c’est difficile. Il n’y a pas encore de mafia. Ces enfants, c’est nous qui les vendons, c’est nous qui les apportons. Nous pouvons encore arrêter les choses. Le message est aussi de demander aux gouvernements de trouver des solutions pour que les enfants aillent à l’école, parce que c’est quand ils traînent dans les rues qu’ils sont en danger. A partir du moment où l’on a protégé nos enfants, nous pouvons demander à Bruxelles de nous donner la liste des pervers que les pays européens ont interdit chez eux. Nous pouvons également leur interdire l’entrée chez nous en leur refusant le visa.

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Joindre Amély-James
L’Afrique en danger
Réflexions d’une femme engagée
7% des prostituées en France étaient africaines en 2000, 40% en 2005* ! L’Afrique est le nouvel or noir du sexe business dans l’Hexagone et dans toute l’Europe. Mirage plus ou moins instrumentalisé de l’Occident, Eldorado présumé d’une autre vie. Croyant les extirper du purgatoire africain, certaines familles jettent même leurs enfants directement dans la gueule du loup…
Par Amely-James Koh Bela, secrétaire générale de l’association Label’VIE
7% des prostituées en France étaient africaines en 2000, 40% en 2005* ! L’Afrique est le nouvel or noir du sexe business dans l’Hexagone et dans toute l’Europe. Mirage plus ou moins instrumentalisé de l’Occident, Eldorado présumé d’une autre vie. Croyant les extirper du purgatoire africain, certaines familles jettent même leurs enfants directement dans la gueule du loup en les confiant à des proches, en Europe pour leur offrir la chance d’un avenir meilleur. Mais la réalité est souvent tout autre… Il y aurait beaucoup à dire sur une situation des plus dramatiques. Et j’en ai vu plus moi-même qu’on peut en voir à l’issue d’une enquête de 12 ans que j’ai menée pas à pas sur le terrain.
Mais le terrain pour moi est aujourd’hui l’Afrique. Plus que jamais. Invitée par le Centre international de la promotion et la création (Cipcré) à Bafoussam en juillet dernier pour une caravane de sensibilisation au Cameroun, qui avec le Nigeria fourni plus de 75 des prostituées africaines en Europe**, j’ai pu me rendre compte de l’ampleur de la tâche. Bafoussam, Ebolowa, Bamenda, Bertoua, Garoua, Douala et Yaoundé, j’ai pour ma part fait le déplacement dans cinq des dix villes d’un parcours de 21 jours (13 juillet-3 août). Cinq villes à raison de 2 conférences ou causeries éducatives par jour, regroupant à chaque fois entre 200 et 1 200 personnes. En français, en anglais et même en langues dialectales, j’ai révélé mes vérités. Celles que j’ai découvertes au cours de mon travail, celles des chiffres officiels, celles des pièges et des faux semblants.
« L’apparition des razzias d’enfants »
Ecole du donner et du recevoir, j’ai également beaucoup appris sur place à l’occasion de témoignages et de discussions avec la population. Comme l’apparition des razzias d’enfants, dans le sud ouest du pays dans les zones rurales, pendant que les parents sont aux champs. Ces propos ont été corroborés par des femmes de la communauté anglophone de Bafoussam pendant une causerie éducative. Comme les ravages des sectes, têtes de ponts de puissants réseaux de prostitution opérant en toute impunité. Avec toujours les mêmes victimes désignées : les enfants et les jeunes. Ce qui ne saurait dédouaner le Cameroun et les Camerounais de leurs propres responsabilités dans un état de fait qui stigmatise un pays miné par le phénomène.
Selon le rapport 2006 du Cipcré, 40% des enfants camerounais âgés entre 5 et 18 ans sont ou ont été de façon certaine sexuellement exploités en milieux scolaires ou familiaux. Des chiffres qui ouvrent une brèche béante dans un tabou jusque-là intouchable : celui de l’inceste. Pratiquement un enfant sur deux a ainsi été bafoué dans l’intégrité de son corps. Une innocence volée qui forcément laisse des traces, et prépare, chez certains, un terreau fertile pour accepter que leur corps n’est qu’une marchandise, et bien souvent leur unique richesse. Après une enfance où ils sont violés en permanence et à volonté par certains membres de la famille, des années de violences en silence, la prostitution se présente alors pour certains comme une délivrance pour échapper à cet univers cauchemardesque où les bourreaux sont les êtres les plus chers que possède un enfant.
Retrouver de vraies valeurs. Telles étaient, au-delà du besoin d’information, les attentes des milliers de personnes rencontrées durant mon périple. Sans distinction d’ethnies, de classes sociales ou de religion. Catholique, protestants, musulmans, animistes, nous avons rencontré toutes les instances religieuses du pays, incontournables organes de mobilisation de masse. Et partout le même vibrant accueil. Le cardinal Tumi nous a même reçu en personne pour s’entretenir avec nous de nos projets quant aux actions de sensibilisation à venir. Prêts à nous épauler et à lever l’ensemble des fidèles pour soutenir nos messages.
« Retrouver de vraies valeurs »
Il s’agit de demander aux parents de ne pas démissionner de leur rôle de gardiens, de transmetteurs et de garants des valeurs. Ces valeurs qui constituent un socle identitaire solide pour les Africains afin qu’aucune tempête discriminatoire ou raciste ne les jette par terre. Pour que, par tous les temps, ils restent debout et fiers et qu’ils n’oublient jamais d’où ils viennent et qui ils sont.
Les jeunes doivent se réconcilier avec le travail et apprendre que tout s’obtient par la persévérance, l’endurance. Quant aux dirigeants, le message qui leur est destinéest plus clair : un pays où les jeunes ne rêvent plus, et n’ont plus d’ambitions est un pays foutu.
Que faire alors pour lutter efficacement contre la prostitution ? Au sein de l’association Label’VIE, nous pensons qu’il vaut mieux s’attaquer aux causes plutôt qu’aux conséquences. Conséquences dont la prostitution fait partie. Raison pour laquelle, à la faveur d’une nouvelle prise de conscience des réalités de la problématique, l’association, initialement appelée Africa Prostitution, a changé de nom pour s’inscrire dans une dynamique plus large. Et travailler véritablement en amont et directement en Afrique pour montrer une Afrique prospère. Une Afrique qui n’a pas à aller chercher ailleurs ce qu’elle a pourtant à foison. Une Afrique fière et debout, consciente de ses forces et de ses potentiels. L’autosuffisance, objectif affiché par de nombreuses associations, ne nous suffit pas. Nous lui préférons la prospérité et l’excellence. L’excellence d’alternatives de poids à la prostitution. Des Alternatives personnelles tout aussi capables de faire vivre une ou plusieurs familles.
« Prendre le problème à la racine »
Prendre le problème à la racine, c’est montrer aux Africains qu’ils peuvent faire chez eux ce qu’ils entendent faire ailleurs. Prendre le problème à la racine, c’est par exemple s’intéresser au drame des immigrés clandestins qui bravent la mer sur des pirogues pour rejoindre le Vieux continent et dont plus de 20 000 ont déjà rejoint les côtes espagnoles depuis le début de l’année pour échouer dans des champs de rétentions sur les îles Canaries. Aussi, avons nous développé un programme spécifique d’actions sur cette question. « Les fils prodigues », décliné en quatre volets, de la sensibilisation directement sur place en Espagne à la préparation d’un retour et un accompagnement dans le cycle de vie de projet professionnel en Afrique, s’appuie sur une équipe de spécialistes en ethno culturel et en conduite de projet. Un travail de professionnels pour un résultat professionnel. Pour ériger des modèles de réussite, pour nous les meilleurs ambassadeurs de la dignité et de l’espoir pour l’Afrique et les Africaines.
Au-delà de la prostitution et de toutes autres formes de trafics, ce combat est un combat identitaire. C’est de l’avenir de l’Afrique et de son image en occident qu’il s’agit. C’est aussi et surtout ma lutte pour valoriser l’image de la femme africaine et de la femme noire que je suis moi-même dans le monde. Même si aujourd’hui une poignée de femmes noires ternissent notre image en vendant des enfants, ça ne reste qu’une minorité et nous devons nous insurger contre ce fait et montrer que l’Afrique c’est autre chose et que les Africains ne cautionnent pas ce trafic.
Egales aux autres femmes, la femme africaine est aussi belle et intelligente. Artisanes et détentrices du pouvoir économique en Afrique, elles sont les plus grandes ambassadrices du continent noir et exposent à travers le monde le savoir faire africain dans plusieurs domaines. Et ce sont ces compétences et ces qualités que nous allons nous évertuer à faire connaître à travers le monde en éduquant différemment nos enfants et en leurs apprenant le sens des valeurs qui feront d’eux des hommes fiers, ambitieux, qui relèveront la maman Africa agonisante et changeront le cours de l’histoire en faisant de ce continent une des grandes plaques tournantes économiques mondiale.
* Selon les chiffres de l’Office centrale pour la répression du trafic des êtres humains
** Selon l’Office International des Migrations
Amely-James Koh Bela : « Mon combat contre la prostitution »
La combattante acharnée des droits de l’homme
présente son nouveau livre
Amely-James Koh Bela milite depuis plus de 10 ans contre la prostitution africaine en France et en Europe. Dans son nouvel ouvrage, Mon combat contre la prostitution, publié aux éditions Jean-Claude Gawsewitch, elle dresse un constat terrifiant. Prostitution enfantine, prostitutions féminine et masculine… A travers de nombreux exemples observés sur le terrain, bien souvent au péril de sa vie, elle révèle des pratiques révoltantes et des vérités dérangeantes. Elle répond aux questions d’Afrik.com
vendredi 25 mai 2007, par Vitraulle Mboungou |
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La couverture du livre
Certaines familles africaines vivant en Europe et en France en particulier prostituent des enfants, avec l’accord implicite des parents restés au pays que cet argent fait vivre. Tel est le constat qu’a fait Amely-James Koh Bela, originaire du Cameroun au hasard d’une enquête menée dans le milieu africain de France à la fin des années 1980. Dès lors, cette femme dont le courage n’est plus à démontrer, n’a cessé de se battre à travers son association Label’Vie devenue aujourd’hui Mayina, pour dénoncer cette odieuse exploitation sexuelle de ces enfants scolarisés dans ce pays, patrie des Droits de l’Homme et qui font des « passes » après le goûter et les devoirs. Des enfants mais également des jeunes femmes qui se retrouvent sacrifiés au prétexte d’aider leur famille à sortir de la misère. Grâce à dix ans d’investigations qui l’ont menée de ville en ville, de restaurants en bordels clandestins, très souvent au péril de sa vie, Amely-James Koh Bela a recueilli de nombreux témoignages de proxénètes, clients ou jeunes prostitués, des témoignages à la fois émouvants, bouleversants et troublants qu’elle a consigné dans ce livre qui lui sert de pont pour d’autres projets. Malgré ce sentiment de travail accompli, le combat continue pour cette infatigable battante.
Afrik : Pouvez-vous revenir sur la genèse de ce roman ?
Amely-James Koh Bela : Juste après mon arrivé en Europe à la fin des années 1980, j’ai décidé d’écrire un livre, L’enfer au paradis, un message aux jeunes Africains où je leur demandais d’envisager d’autres alternatives que le départ. J’essayais de leur faire comprendre que dans les années 2000 l’Europe se fermerait au Sud et s’ouvrirait à l’Est et qu’il y aurait dès lors toutes sortes de politiques pour qu’ils n’entrent pas. Je voulais qu’ils prennent conscience de cela mais surtout qu’ils comprennent qu’ils ont tout ce qu’il faut sur place pour se développer. Afin de mener ce projet à bien, j’ai décidé de faire une enquête dans le milieu africain de France. C’est ainsi que j’ai rencontré trente associations de trente pays différents. Et c’est en inquêtant dans ce milieu que j’ai découvert le trafic de petits garçons prostitués à domicile. Mon livre n’a pas été publié mais cela m’a permis de découvrir ce problème de la prostitution et d’en faire ma bataille.
Afrik : La prostitution des mineurs « dans l’intimité des appartements » est justement un des grands thèmes de ce livre…
Amely-James Koh Bela : C’est l’une des premières choses qui m’a choquée : cette prostitution à domicile des petits garçons de 5 à 10 ans, qui font des passes entre le goûter et leurs devoirs. J’ai assisté à ce type de scène, c’est véritablement cela qui m’a fait réagir. C’est ahurissant que cela puisse arriver aujourd’hui en France, surtout quand on connaît le système social français.
Afrik : Justement, de ce fait, on a du mal à imaginer que les adultes autour de l’enfant, ne serait-ce que les maîtresses à l’école, ne parviennent pas à déceler quelque chose…
Amely-James Koh Bela : Les maîtresses ne peuvent pas déceler quoi que ce soit parce que l’enfant est conditionné dès le départ. On lui a fait comprendre que c’était normal, tous les enfants font ça mais qu’il ne faut pas en parler. Quand je rentre dans une maison et qu’un enfant de 8 ans me dit pendant que je parle à sa mère : « ne fait pas du mal à ma maman, si je fais ça c’est pour que mes sœurs viennent, ce n’est pas grave ». A cet âge là, on ne sait pas ce que l’on raconte. Pour tomber sur ces enfants, il faut qu’il y ait un flagrant délit ou que l’enfant parle. A ce propos, je pense que chacun a sa responsabilité, notamment les pouvoirs publics et la Préfecture en particulier. Quand on régularise une femme qui soit disant vit dans un petit HLM et survit en faisant des ménages et que la même femme fait entrer quinze enfants dans le pays qu’elle reconnaît comme étant les siens et qu’on la régularise dans les deux ans, moi je demande des comptes à la Préfecture. Personne ne se pose la question de savoir où sont ces enfants, qu’est ce qu’ils font. Ce qui est vraiment dommage, c’est qu’aujourd’hui des personnes innocentes qui désirent faire venir leurs enfants payent pour ces comportements car elles ont bizarrement droit aux enquêtes sans fin. Puis, il faut dire qu’il y a des personnes qui n’hésitent pas marabouter ces enfants. J’ai eu des témoignages de certaines associations de Paris qui ont eu des enfants maraboutés, complètement traumatisés et effrayés car ils pensaient que s’ils disaient quelque chose, ils allaient devenir fou ou mourir.
Afrik : S’agit-il là des choses qui ont été vérifiées car en France et en Occident en générale, beaucoup doutent des pouvoirs des marabouts ?
Amely-James Koh Bela : Je peux citer par exemple le cas de ce garçon qui avait été accueilli par une association de la région parisienne qui a d’ailleurs refusé que je la cite dans mon livre, chose que je regrette vraiment car elle a un vivier d’informations. Elle m’a cité des cas concrets d’enfants qui font des crises énormes de transe la nuit au point qu’il faut au moins quatre adultes pour les maintenir. Elle n’a pas voulu que j’en parle parce que ces enfants ne seraient pas officiellement répertoriés comme des enfants prostitués, et comme ils sont mineurs, il faut les protéger.
Afrik : Pourquoi ce livre arrive maintenant ?
Amely-James Koh Bela : Ce second livre est différent du premier qui était le cri de douleur d’une femme, une révolte, un choc, et où je voulais interpeller les consciences et pour se faire j’ai choisi la manière violente, en rapportant les événement comme je les avais vécus durant mes enquêtes. Pour ce dernier livre, il y a donc beaucoup de témoignages sur les différents aspects de ce trafic. J’ai décidé de me mettre à côté et de donner la parole aux « victimes » parce que même les femmes qu’on traite de proxénètes, ont elles-mêmes subi des violences dans leur enfance. Elles sont aussi victimes en quelque sorte de ce système, même les clients sont victimes car ils sont convaincus que l’argent qu’ils donnent nourrit les parents des filles prostituées et non les milieux mafieux du monde. J’ai donc donné ici la parole à tous les acteurs de ce milieu, les proxénètes, les prostituées, les clients, les trafiquants, etc…
Afrik : Quelle a été votre démarche pour recueillir les différents témoignages ? Ce n’était pas trop dangereux ?
Amely-James Koh Bela : C’était effectivement très dangereux, j’en parle d’ailleurs dans le livre. Il s’agit en réalité de témoignages que j’ai recueillis lors des enquêtes que j’ai faites à la fin des années 1980 et 1990, j’en ai près de 1000. J’en ai mis une partie dans le premier livre, une autre ici et les autres serviront pour d’autres causes. Beaucoup de ces témoins ne sont plus de ce monde aujourd’hui car j’avais pris des cas vraiment extrêmes, des gens qui portaient en eux les séquelles de ce trafic, par exemple des filles malades du sida en fin de vie, d’autres complètement droguées et d’autres avec des infections très graves, toujours dans cette optique de choquer afin de réveiller les consciences. Aujourd’hui j’ai encore des contacts avec d’autres filles qui restent dans ce milieu. C’est mon plus grand drame à l’heure actuelle, ne pas avoir réussi à les sortir de là parce que finalement, elles n’en sortent jamais. Soit elles deviennent proxénètes elles-mêmes en faisant venir des sœurs qu’elles font travailler à leur compte, soit elles deviennent serveuses dans un bar où elles se font tripoter les fesses, ou alors elles épousent des clients.
Afrik : Vous consacrez une grande partie du livre à ce que vous appelez les « mammas ». Qui sont-elles ?
Amely-James Koh Bela : Les « mammas » sont les piliers de ces réseaux. Il faut savoir que les personnes qui organisent ces réseaux de prostitution sont des femmes africaines, il n’y a pas d’hommes. C’est la particularité des réseaux de prostitution africaine. En Afrique, ce sont les femmes qui dirigent tout. Elles gèrent la maison, éduquent les enfants et se débrouillent parallèlement pour tenter de gagner leur vie en faisant notamment des petits commerces. C’est donc naturellement qu’on les retrouve en train de trafiquer. Aujourd’hui lorsqu’on regarde ces femmes proxénètes on peut être choqué par leur comportement mais je voudrais qu’on les regarde autrement. Il faut tenter de les comprendre, comprendre comment on en arrive à vendre son enfant. Souvent elles ont elles-mêmes subies des choses terribles durant leur enfance et elles ne font que les reproduire. La société africaine tolère aujourd’hui ces pratiques parce que les gens sont dans une misère psychologique et économique mais aussi parce que cela vient de l’Homme blanc. Tout ce qui vient du Blanc est toujours beau même la pire des choses. Pour moi, si ces femmes peuvent construire ces réseaux, elles sont également les seules à pouvoir les détruire. C’est pourquoi la sensibilisation au problème de la prostitution passe par ces femmes, elles sont donc pour moi aujourd’hui des véritables partenaires et non des ennemies.
Afrik : C’est paradoxale ce que vous dites, surtout lorsqu’on lit cet extrait de votre roman : « les plus grandes violences faites aux femmes en Afrique sont faites par les femmes »…
Amely-James Koh Bela : Tout est dans l’attitude parce que lors que vous rencontrez l’une de ces femmes et que vous lui dites qu’elle vend une enfant, elle ne comprend même pas ce que vous dites parce que dans sa tête elle est persuadée du contraire. C’est ça le pire. Il s’agit pour elle d’un processus normal de la tradition que la société africaine a toléré. Elle se dit : « j’ai une copine qui est en Europe, je lui envoie ma fille pour qu’elle ait des amants blancs dans l’espoir qu’elle puisse ainsi trouver un mari. Et la copine aide ma fille à s’en sortir, on n’est pas dans la prostitution ». Je suis déjà tombé sur des « mammas » qui me disaient : « proxénétisme, ça veut dire quoi ? Traduit-le moi en langue locale ». Et comme on n’a aucune explication à lui fournir, elle en conclut donc que si ce mot inventé par les Blancs n’existe pas dans nos langues locales, c’est que le proxénétisme n’existe pas. Ces femmes lorsqu’elles donnent leur enfant à un proxénète, considèrent que faire ce geste c’est exécuter la volonté de Dieu parce que l’enfant est venu sur terre pour sauver la famille, autrement il ne serait pas là. Elles sont vraiment dans cette logique. Elles ne ressentent aucune culpabilité parce qu’elles ne pensent pas faire quelque chose de mal, au contraire il s’agit pour elles d’un geste maternel, d’amour : elles aident leurs enfants à rencontrer un Blanc qui pourrait les épouser et aider ainsi leurs frères et sœurs à venir en France ou en Europe.
Afrik : Vous parlez également du manque de soutien des certaines associations et ONG à votre égard. Comment l’expliquez-vous ?
Amely-James Koh Bela : J’ai effectivement souffert du manque de soutien de certaines associations de femmes qui ont mis en doute mes affirmations, juste par ignorance de ce problème ou parce qu’ils ne l’ont jamais vu. Heureusement beaucoup d’autres m’ont soutenu pendant toutes ces années. Au cours de certaines conférences, des femmes africaines sont venues à mon secours en disant à ces associations : « on vous interdit de dire qu’elle ment parce que c’est elle qui est dans la vérité que vous ne connaissez pas. Nos filles, lorsqu’elles viennent vous voir, il y a des choses qu’elles ne vous diront pas et qu’elles lui diront à elle, car vous n’avez pas la bonne couleur et aussi parce qu’elles la connaissent. Ce qu’elle dit, c’est vrai. Ce que nous ne voulons pas c’est qu’elle le dise en public. »
Afrik : Vous évoquez aussi le phénomène plus marginal semble-t-il des jeunes prostitués africains…
Amely-James Koh Bela : Il n’est pas si marginal que cela parce qu’il est actuellement en plein boom. C’est juste que les gens n’y font pas attention. Ce phénomène constitue le moyen le plus facile pour les hommes mariés et parfois pères de famille, des étudiants, hétérosexuels ou non de se faire beaucoup d’argent aussi bien de manière occasionnelle que régulière. C’est un phénomène devenu très banal. Certains sont conscient et assument parfaitement ce qu’ils font, alors que d’autres refusent de le faire et considèrent qu’il s’agit juste d’un accident de parcours et se cachent.
Afrik : Dans ce roman, vous mettez surtout en garde les jeunes femmes africaines contre le danger des sites de rencontre sur Internet que vous qualifiez « d’armes de destruction massive »…
Amely-James Koh Bela : Pour moi Internet tel qu’il est utilisé aujourd’hui est une arme de destruction massive. Beaucoup de jeunes femmes africaines se connectent sur ces sites où en à peine deux minutes, elles vont dévoiler leurs organes génitaux à des inconnus, juste parce qu’il s’agit d’hommes blancs qui leur promettent monts et merveilles. J’ai rencontré trop de filles qui ont été piégées ainsi, elles ont envoyé des photos d’elles nues à des inconnus qui sont partis les vendre. Aujourd’hui les proxénètes se mettent aussi au multimédia, ils utilisent la High-Tech pour leur bizness. Je demande aussi aux filles de respecter certaines valeurs, si elles commencent à se brader ainsi en livrant leur intimité après une minute de connexion sur Internet, aucun homme ne pourra les respecter. Si aujourd’hui ces hommes leur crachent, leur pissent dessus, bref n’ont aucune considération pour elles, c’est parce qu’elles ne leur ont donné aucune raison de les respecter. Mon but est avant tout de leur expliquer qu’Internet est un véritable nid de personnes très dangereuses. Nous avons à ce propos un grand projet qui s’appelle « Internet autrement » ; nous allons discuter avec tous les jeunes dans tous les pays subsahariens pour leur montrer qu’on peut utiliser Internet autrement.
Afrik : Maintenant que ce livre est sorti, quels sont vos projets à venir ? On suppose que le combat continue, que vous n’allez pas vous arrêtez là…
Amely-James Koh Bela : Effectivement, le combat continue jusqu’au bout, je ne lâcherai pas. Ce livre était pour moi un pont. Ce livre dépasse aujourd’hui le domaine de la prostitution dans la mesure où on est vraiment dans un combat identitaire. Je passe de la prostitution aux conditions d’immigration des Africains parce qu’aujourd’hui la prostitution est seulement une conséquence de la situation africaine. Beaucoup de personnes partent du continent en espérant gagner dignement leur vie en Europe, mais une fois ici elles se retrouvent dans ce milieu sans vraiment le vouloir. Avec mon association Mayina, on va donc faire un bon pour tout simplement montrer qu’il ne suffit pas de traiter les conséquences mais il faut aussi voir les causes en utilisant par exemple nos traditions, nos cultures. Voir dans nos cultures ce qui nous prédispose dès le plus jeune âge à ces comportements. Dès lors qu’on aura réglé ces problèmes, l’africain pourra alors peut-être changer l’image qu’il a de lui-même, avoir confiance en lui. Le but de ce livre est d’amener les africains à avoir une autre image d’eux-mêmes qui ne soit pas dévalorisante et surtout d’amener les Européens à voir l’Afrique autrement qu’un continent de malheureux, d’incapables, de personnes qu’il faut aider tout le temps. Il sert aussi à dire aux jeunes Africains que l’Afrique a de l’argent, qu’elle est riche, s’ils veulent partir qu’ils préparent bien leur voyage afin de ne pas tomber dans ces réseaux de prostitution ou alors qu’ils restent et tenter de faire avancer les choses sur place. Voilà donc mes combats à venir, repositionner l’image de l’Africain et de l’Afrique dans le monde, changer l’image que les Européens ont de l’Afrique, amener ainsi des prises de conscience chez des Africains qui vont leur permettre de penser d’une nouvelle façon. Il faut miser sur les femmes en premier parce que je l’ai dis au début, ce sont elles qui tiennent ce continent. Le but ultime est de créer de véritables réussites africaines qui seront fêtées, médiatisées, pour montrer à tous sur le continent que nous pouvons réussir. Il y a également un autre grand projet avec les enfants à travers le continent et pleins d’autres choses après.
Afrik : Vous allez mener ces combats à travers votre association Mayina ? Pouvez-vous nous dire quelques mots à propos de cette association dont vous venez de changer de nom ?
Amely-James Koh Bela : L’association qui s’appelait auparavant Label’Vie porte désormais le nom de Mayina qui veut dire en langue Boulou, une langue Bantou du Sud et Centre du Cameroun mais qu’on trouve aussi dans la forêt équatoriale en Afrique centrale, « Je veux que ». C’est au sein de cette association où il y a une grande équipe que nous avons décidé de dérouler ces projets dont je viens de vous parlez.
Mon combat contre la prostitution, Amely-James Koh Bela, Jean-Claude Gawsewitch éditeur, 224p, 2007
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Le blog de l’association Mayina