Experts en tout, experts en rien : c’était dans l’air
L’émission quotidienne « C dans l’air », diffusée sur France 5 et animée par Yves Calvi (journaliste multicarte qui anime également une « quotidienne » – « N onobstant » – sur France Inter et « Mots Croisés » tous les quinze jours sur France 2), recourt, comme la plupart des émissions de ce genre, à l’expertise. Une expertise souvent illusoire qui, quand elle ne vire pas au cabotinage ou à la conversation mondaine, réserve des surprises révélatrices.
Ils font la queue, les experts, pour venir gloser dans l’émission pédago de la chaîne pédago. Il est question d’économie ? Elie Cohen plastronne. Le Proche-Orient est à l’ordre du jour ? C’est Antoine Sfeir qui s’exhibe. Il s’agit de comprendre les fluctuations de l’opinion sondée ? Dominique Reynié – qui s’éclipse un instant des plateaux d’i-télé – arrive à la rescousse. La politique politicienne est au menu ? Christophe Barbier (sans son écharpe rouge) et Roland Cayrol s’ébattent devant le micro.
Mais, une fois n’est pas coutume, outre Jean-François Kahn, et Nicole Bacharan, , les experts conviés le 4 mars 2008, n’étaient pas tous des habitués de l’émission. Autour du thème « Qui gouverne le monde ? », Jean-François Kahn, ex-directeur de Marianne, Nicole Bacharan, Professeur à Sciences Po, historienne et politologue franco-américaine, Gérard Chaliand, spécialiste des problèmes géopolitiques et stratégiques, et Jacques Rupnik, directeur de recherches à Sciences Po au Centre d’études et de recherches internationales (CERI), spécialiste de l’Europe de l’Est et de l’élargissement de l’Union Européenne, étaient présents sur le plateau de « C dans l’air ». A la façon qu’ils ont eu, ce jour-là, d’éluder une question et de manifester leur ignorance sur une autre, on mesure mieux le rôle des experts.
Ne pas répondre à la question poséeDans la dernière partie de l’émission, Yves Calvi pose aux invités les questions des téléspectateurs. Parmi elles, celle-ci : « Les grands groupes financiers associés à la machine médiatique ne seraient-ils pas en train de devenir les seuls maîtres du monde ? Comment vous percevez ça, est-ce que vous avez des commentaires à faire ? »
Nicole Bacharan, comme la transcription intégrale de sa réponse permet de le vérifier, s’empresse d’oublier la question qu’elle rabat sur le rôle des groupes financiers dans l’élection présidentielle états-unienne, avant de prononcer un éloge de la démocratie des lobbies :
« Est-ce qu’on peut partir peut-être de ce qu’on a dit précédemment sur les Etats-Unis, c’est-à-dire le rôle de l’argent, les chiffres que citait André Kaspi dans le reportage, sur ces sommes colossales qu’il faut pour être élu Président des Etats-Unis finalement. Et c’est intéressant : on ne peut pas avoir de réponse totalement tranchée. Quand il y a une élection américaine, vous avez un premier tour financier. Par exemple, George Bush en 2000, il avait, par les réseaux de son père, par les réseaux pétroliers, etc., il a convaincu en gros un certain nombre de grands groupes et il a eu de l’argent pour faire campagne. Si vous ne convainquez pas sur le plan financier les gens qui ont les moyens, les entreprises qui ont les moyens de vous soutenir, il est très difficile de passer à l’étape suivante. Mais ce n’est pas une règle absolue et ça ne peut pas faire une élection à l’arrivée. Ou, tout du moins, ça ne le fait pas à chaque fois parce que, par exemple, Barack Obama n’avait pas ni le réseau, ni les appuis de George Bush au départ, il a convaincu les financiers très vite qui ont dit ce garçon là a de l’avenir, on va parier sur lui. Mais il a aussi convaincu beaucoup, beaucoup d’électeurs individuels, des centaines et des milliers qui ont mis de l’argent à partir d’Internet sur la campagne d’Obama. Donc ça joue un rôle, ça n’est pas suffisant ; et j’ai envie de dire quelque part le choix des groupes financiers n’est pas forcement un choix stupide. Ils cherchent aussi, et ils se trompent parfois, quelqu’un d’intelligent, de capable donc qui défendra leurs intérêts mais qui peuvent être parfois…, se recouper avec les intérêts du pays et même les intérêts mondiaux. Donc les groupes financiers jouent un rôle. Vous parliez des lobbies tout à l’heure. Les lobbies évidemment aux Etats-Unis jouent un rôle, mais ils sont tellement nombreux qu’ils ont… que ça tire aussi dans tous les sens ; il y a quelque chose de démocratique au fond dans le fonctionnement des lobbies aussi. Donc ce n’est pas la clé de tout, non. Evidemment ça n’est pas à ignorer. »
Rappelons que la question-titre de l’émission du jour était : « Qui gouverne le monde ? » et que le téléspectateur demandait si ce n’était pas « les grands groupes financiers associés à la machine médiatique ». Répondre sans entendre – et peut-être même comprendre ? – les questions posées, les pulvériser par un flot de paroles exige, à n’en pas douter, un grand talent pédagogique. [1]
Grâce à cette expertise, on aura appris que les groupes financiers jouent un rôle dans l’élection présidentielle américaine, mais que ce rôle, non seulement n’est pas décisif, mais est, finalement, inoffensif.
Question suivante.
Voir des complots partout Yves Calvi lit une question posée par SMS à l’écran, en ponctuant sa lecture d’un aveu : « “Que savez-vous de l’organisation mondiale Bilderberg” – moi je n’en avais jamais entendu parler – “qui réunit chaque année les personnages les plus influents du monde ? ” Vous connaissez ça vous ? »
Réponses des experts :
- Jean-François Kahn : Non.
- Autre voix d’homme : Non.
- Rire de Nicole Bacharan.
- Yves Calvi : Bah voilà, bide en direct, Bilderberg…
- Jean-François Kahn : Je connais Davos, je connais la Tricontinentale (sic, Kahn voulait sans doute dire « la Trilatérale »), je connais Davos, mais je ne connais pas…
- Nicole Bacharan : En tout cas je ne connais pas du tout cette organisation donc je n’ai rien… »
Cette ignorance est, venant de spécialistes des questions internationales, proprement stupéfiante.
Le groupe Bilderberg, certes ne gouverne pas le monde, mais il réunit régulièrement, depuis 1954, dans le plus grand secret, chefs d’entreprise, hommes politiques, journalistes puissants, du monde entier. Le but officiel de ses rencontres est simplement de se rassembler entre personnes de pouvoir, d’y partager des informations confidentielles et des analyses dans l’espoir d’influer sur le cours des idées et – pourquoi pas ? – sur le comportement des acteurs présents. Jean-Louis Gergorin, ex-vice-président d’EADS, l’explique : « Le Bilderberg est un club à géométrie variable. C’est une structure de réflexion qui a un noyau dur avec quand même une certaine base idéologique, mais qui a une fonction de dialogue en dehors de cette base idéologique, ce qui peut apporter comme des mouvements d’idées, comme des mouvements politiques, économiques ou sociaux. » [2]
Quand des experts sont invités et se laissent inviter, comme s’ils étaient omniscients, du moins sur la question posée, leur aveu d’ignorance mérite une explication. Yves Calvi tente de la trouver : « C’est peut-être une invention d’un téléspectateur qui nous teste. » Sourire complice de Nicole Bacharan : « Peut-être qu’il voulait vérifier que… » Et emballement de Gérard Chaliand : « Je me méfie beaucoup de ces organisations mondiales qui dans l’ombre se réunissent et distribuent en quelques sortes les dividendes et les rôles : c’est une vision de complot de l’Histoire. » La conclusion, sans complexe d’Yves Calvi, est à la mesure de sa démesure : « Vous êtes peut-être en train de répondre très habilement à une fausse question, ce qui est alors pour le coup, d’une grande intelligence. Enfin ça m’arrange. »
Yves Calvi et ses experts attitrés sont dans l’impossibilité de répondre à une question à laquelle ils devraient pouvoir répondre, puisqu’ils sont présents en qualité d’experts, non de botanique ou d’œnologie, mais du « gouvernement du monde ». Plutôt que d’avouer simplement leur ignorance, au risque de révéler de profondes failles dans leurs prétendues compétences, mieux vaut imaginer que la question est l’œuvre d’un petit malin, voire d’un pervers : c’est « peut-être » un « téléspectateur qui nous teste », ou « peut-être » une « fausse question ». Et pourquoi pas un complot ?
Mais le comble est atteint quand, sans rien savoir de « l’organisation mondiale Bilderberg » dont parle le téléspectateur, un expert – Gérard Chaliand – « sait » quelle est la signification cachée de son interrogation et préfère le soupçonner de partager « une vision de complot de l’Histoire. » L’aveu d’ignorance qui pouvait passer pour un signe de modestie vire alors au comble de l’arrogance.
Et pourtant…
Si le groupe Bilderberg n’est pas connu du grand public, des spécialistes de l’international, réunis autour du thème « Qui gouverne le monde ? » auraient peut-être pu au moins en connaître l’existence. Il existe 1 320 000 références au Bilderberg sur google.fr, une trentaine d’articles y faisaient référence dans la presse française durant l’année précédant l’émission. On trouve au moins trois références au groupe de Bilderberg dans Marianne du temps où Jean-François Kahn en était le directeur. Mais surtout, en 2006, parmi les invités français à la conférence organisée par le groupe Bilderberg, on comptait Richard Descoings, le directeur de l’Institut d’Etudes Politiques (Sciences Po) – donc le supérieur de Jacques Rupnik et Nicole Bacharan – et Olivier Roy, chercheur au CNRS, et chercheur associé au CERI dont… Jacques Rupnik est le directeur.
Experts en tout ? En l’occurrence, experts en rien.
Mathias Reymond
- Grâce à la transcription de Sébastien.
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[1] L’experte n’en est pas à son premier fait d’arme. C’est elle qui avant Jean-Marie Colombani avait déclaré « Nous sommes tous des américains » le soir du 11 septembre 2001 sur France 2. C’est elle qui sur France Inter avait lancé : « Chercher du côté des victimes la faute, c’est inqualifiable ! (…) Ne vaut-il mieux pas que ce soient les Etats-Unis qui soient la première puissance mondiale que la Chine, que la Russie ? » (16 septembre 2001, cité dans PLPL n°6, octobre 2001). C’est toujours elle qui avait anticipé que « si effectivement les Etats-Unis intervenaient en Irak seuls, sans résolution de l’ONU, ce serait très grave, et je pense qu’on pourrait dire que l’ONU est morte. Mais ce n’est pas du tout la voie vers laquelle ils se dirigent. » (France 5, 9 février 2003, cité dans PLPL n°14, avril 2003) Les Etats-Unis sont intervenus sans résolution de l’ONU et l’ONU n’en est pas morte pour autant. Une prévision ratée à faire rougir de jalousie le futurologue Alexandre Adler.
[2] Cité dans Michel Gama, Rencontres au sommet, L’Altiplano, 2007, p.149. Ce livre – très complet et rempli de témoignages – présente le groupe Bilderberg et la commission Trilatérale.
Yves Calvi et ses invités expertisent
le « Casse-toi, pauvre con » présidentiel
En fin d’après-midi, le télespectateur peut apprécier l’« offre de décryptage » de France 5. Après « C à dire » présenté par Thierry Guerrier, Yves Calvi anime « C dans l’air ». Le 25 février, l’émission est consacrée à « La phrase… », c’est-à-dire au « Casse-toi, pauvre con » lancé par Nicolas Sarkozy le 23 février à un visiteur (comme lui…) du salon de l’agriculture qui refusait de lui serrer la main lors de sa visite. Face à quelques « experts », Yves Calvi se fait l’avocat du bon sens, version café du commerce.
La présentation de l’émission donne le ton. Yves Calvi introduit le « débat » en citant Jean-Pierre Raffarin qui rappelait, le jour même dans l’émission de Thierry Guerrier, que Sarkozy « a toujours été comme ça ». L’introduction au « dossier » du jour est complétée par l’évocation du « lynchage » que subirait, selon l’UMP, le Président, par une déclaration du ministre Brice Hortefeux (qui « trouve ça très bien que le Président parle comme tous les Français », selon les termes rapportés par Calvi) et une autre de Laurent Fabius (selon lequel « Pour bien présider la République, il faut d’abord se présider soi-même ».)
Le « débat » est ensuite lancé. Mais alors que Dominique Reynié répond à la première question de l’animateur cherchant à savoir si l’on va devoir changer la constitution pour le Président, il est interrompu par Yves Calvi qui précise : « On s’est demandé si […] l’exemplarité [de la fonction présidentielle] était codifiée par les textes ? Or ce n’est pas le cas. »
Notre nouveau spécialiste en droit constitutionnel se tourne ensuite vers Laurent Joffrin. Se référant à l’entourage de Nicolas Sarkoy, il poursuit sur sa lancée, le bon sens même : « Tout le monde a tendance à dire : “Non mais arrêtez de lyncher, il a eu une réaction spontanée”. Entre guillemets, finalement, lui, il est pas hypocrite, il exprime ses sentiments. […]. En gros, il parle comme tous les Français. En gros, ce serait nous journalistes et les opposants, on tourne en rond en permanence avec ses phrases et avec ses éclats. » Laurent Joffrin se lance et évoque l’attitude « insultante » du destinataire de l’insulte présidentielle. Yves Calvi le coupe pour l’appuyer : « On comprend que ça l’énerve. » Une empathie que le même Calvi n’éprouve pas quand il interroge un « n’importe qui » ; un animateur sportif de Clichy-sous-bois, par exemple [1].
Après un reportage restituant les faits et les mettant en perspective (la tendance de Sarkozy à déraper verbalement), Calvi reprend la parole… et persévère. À l’appui de sa « thèse », un échantillon de l’opinion… sous la forme d’un SMS que l’animateur lit puis relit : « c’est très intéressant. Un premier SMS qui en fait inverse la situation et nous pose une question que je vais vous lire deux fois […] : “est-il normal qu’un individu lambda manque de respect au président de la république française et obtienne le soutien de l’opinion ?” Je répète […] » Et il répète.
Intervient alors Brice Teinturier (TNS-SOFRES), un autre spécialiste de l’opinion. Celle-ci – selon notre sondologue qui ausculte sans même enquêter – peut légitimement se demander si une attitude pareille de la part du président n’est pas déplacée. Heureusement, Yves Calvi ne laisse pas passer cette réserve effrontée et reprend de plus belle, en délaissant le droit public pour l’art dramatique : « Est-ce qu’il n’y a pas une certaine d’hypocrisie ou un côté monsieur Jourdain ? Je m’explique : les Français l’ont élu assez largement avec 31 % des voix au premier tour et 53 % au second. Je veux dire : on le connaissait, comme il le disait Raffarin tout à l’heure : “on ne le découvre pas, Sarkozy”. Donc je dirais que, il y a une demande à la fois d’autorité et de spontanéité qui est le Président qui intervient sur tout et pour tout. Ce que vous nous avez expliqué pendant des mois [pointant le sondeur] et je le crois tout a fait à escient, vous les enquêteurs : les Français demandent de l’action, et là il est au maximum de l’action et même de la réaction si je puis dire et ça fait 19 points en moins dans la dernière enquête IFOP ». À relire trois fois…
Bilan ?
- Une tablée d’experts qui ne reculent devant aucun cabotinage [2], se revendiquent de la sonde et de la science pour s’exprimer sur n’importe quel sujet (une altercation somme toute anecdotique… ou le démantèlement de l’Etat social) et diagnostiquer ce qu’ils estiment « l’état de l’opinion ».
- Un animateur multimédia (France 5, France 2, France Inter) omniprésent dans « son » émission se fait l’avocat du bon sens : ce numéro de prestidigitateur s’appuie sur une novlangue pernicieuse dans laquelle les contre-réformes sont des réformes et le « maximum de l’action », une provocation [3] verbale…
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[1] Voir ici même « Yves Calvi (France 2), extincteur d’incendie dans les quartiers populaires »
[2] Parmi eux, on retrouve par exemple François Jost et Brice Teinturier qui étaient déjà les invités de « Mots croisés » sur France 2, présenté par Yves Calvi le 14 janvier 2008 (sur « Sarkozy, le téléprésident »).
[3] Ou un dérapage, au fond peu importe.
Lu, vu, entendu n° 5 :
« Avis de recherche d’un contre-pouvoir indépendant »
Contes et légendes…
I. En quête d’indépendance
Etienne Mougeotte, en toute indépendance
On le sait, Etienne Mougeotte a pris la succession de Nicolas Beytout à la tête du Figaro. Interviewé par Guillaume Durand sur Europe 1 (A l’Air Libre, Europe 1, 20 novembre 2007), l’ancien directeur de TF1 vend son « produit » : « Je pense que de plus en plus, les marques, les grandes marques : Figaro, Europe 1, TF1, New York Times si on va à l’étranger, auront une valeur très forte dans un système où l’information arrive par de multiples canaux ».
Signe des temps, même Guillaume Durand, même sur Europe 1, se sent obligé d’évoquer le problème de l‘indépendance des journalistes qui travaillent pour la « grande marque ».
Guillaume Durand : – « Les journalistes qui travaillent pour vous ils se sont souvent méfiés de leur patron, Serge Dassault qui voulait faire passer une sorte d’image politique, ils se méfient aussi de Nicolas Sarkozy dont on disait que M. Beytout, Nicolas Beytout était très proche, est-ce que vous leur garantissez en arrivant une indépendance ? »
Etienne Mougeotte : – « Moi ce que je leur garantis, c’est à la fois l’indépendance politique bien sûr et une relation pacifiée vis-à-vis de l’actionnaire, c’est-à-dire un actionnaire qui fait son métier d’actionnaire mais qui ne prétend pas intervenir et qui n’interviendra pas dans la ligne éditoriale du journal. »
Quand Etienne Mougeotte se porte garant de l’indépendance des journalistes, on est prié de ne pas sourire. Quand il honore le dur « métier » [sic] d’actionnaire, en assurant que celui-ci n’aura pas à « travailler plus pour intervenir davantage », on se prend à penser qu’Etienne Mougeotte, choisi par l’actionnaire, fera son « métier » d’intermédiaire et de « pacificateur », sans qu’il soit utile que l’actionnaire se charge directement et quotidiennement de la « ligne éditoriale du journal » .
Mais Guillaume Durand, toujours pressé de passer à la question suivante, avant que la précédente ait été vraiment abordée, est inquiet :
Guillaume Durand : – « Est-ce que Le Figaro est un journal de droite ? » En voilà une question impertinente ! Demander si Le Figaro est un journal de droite, c’est un peu comme demander si Radio Vatican est une radio catholique… Mais Etienne Mougeotte ne se dérobe pas :
Etienne Mougeotte : – « Le Figaro est un journal libéral, il défend… »
Guillaume Durand : – « C’est-à-dire un journal de droite ! (…) Est-ce que tout ça, c’est organisé dans le bureau du Président de la République ? Parce qu’on a beaucoup parlé d’annonces qu’il aurait fait… »
Et hop ! Puisque l’orientation éditoriale du Figaro n’est déterminée ni dans le bureau du propriétaire de la « marque », ni dans celui du Président de la République (et, ajoutons-le : que les journalistes pris individuellement n’ont pas jour après jour un fil à la patte), l’indépendance est garantie ! Sous couvert de poser des questions dérangeantes, Guillaume Durand a lavé Le Figaro de tout soupçon.
Et comme Europe 1 est suspecté de se prêter aux exigences de Sarkozy, Etienne Mougeotte défend les deux « marques » en une seule tirade :
Etienne Mougeotte : – « Attendez, attendez, attendez, attendez, Guillaume Durand , est-ce que les journaux d’Europe 1 se font dans le bureau du Président de la République ? Non ! Est-ce que les journalistes d’Europe 1 sont inféodés au Président de la République ? Non, et bah pour Le Figaro c’est pareil, c’est pareil et on raconte un certain nombre de choses, (…) en tout cas, moi je n’ai pas vu le Président, je n’ai pas eu de contact avec lui, je le respecte en tant que Président, il est le Président de la République mais ce n’est pas lui qui fera Le Figaro, croyez-moi, pas plus qu’il ne fait j’en suis sûr Europe 1 ».
Evidemment, Sarkozy ne fait pas Le Figaro ! Evidemment, il ne fait pas Europe 1 ! Pourquoi se donnerait-il cette peine ? L’orientation éditoriale du quotidien est si bien ajustée à ses exigences qu’il peut se priver d’intervenir directement. Quant à la station de radio, média de consensus, elle épouse si bien le consensus dominant qu’il n’est nul besoin d’inféoder ses journalistes.
Consensus dominant ? Quelques secondes plus tard, Guillaume Durand pose cette question à son invité :
Guillaume Durand - : « Etienne Mougeotte, que diriez-vous à ceux qui nous écoutent qui sont coincés aujourd’hui dans les voitures (…) ? Parce que nous sommes dans un pays qui est quand même assez coincé ! »
Avec des journalistes aussi « décoincés » que Guillaume Durand, Sarkozy n’a nul besoin de museler la presse. De tels journalistes ne risquent pas de mordre.
Nicolas Beytout, en toute indépendance
En tout cas, si Etienne Mougeotte promet d’assurer l’indépendance du Figaro vis-à-vis de ses actionnaires, il devra faire ses preuves. Pour convaincre en particulier son prédécesseur, Nicolas Beytout. Celui-ci assure avoir été « un grand résistant » face à Serge Dassault, propriétaire du quotidien : « Il m’appelait tous les jours, dit Beytout, pour m’imposer ses copains ou écrire dans le journal. Ce type est un nul qui ne connaît rien à la presse. J’ai tenu, mais je ne suis pas sûr que ce sera le cas avec Mougeotte » (Le Canard Enchaîné, 28 novembre 2007). Vu l’ampleur de la résistance en question sous Beytout, si celle-ci est encore moins grande sous Mougeotte, cela laisse songeur sur l’avenir du Figaro. Rappelons que Serge Dassault n’a pas attendu le changement de direction à la tête de « son » quotidien pour déclarer qu’un journal « permet de faire passer un certain nombre d’idées saines » (entretien accordé au magazine Entreprendre pour son numéro de décembre 2003, voir notre article « La presse selon Dassault (4) : les « idées saines »).
Vincent Bolloré, en toute indépendance
S’il dit les choses de manière plus élégante, Philippe Labro, conseiller du prince Vincent Bolloré, est tout à fait d’accord avec l’ami Serge : « Les médias, c’est profondément contemporain et synonyme d’influence », confie-t-il à Télérama (Emmanuelle Anizon, « Le raz de marée Bolloré », Télérama, n°3016, 31 octobre 2007).
Le prince en question, propriétaire entre autres de la chaîne Direct 8 et du journal Direct Soir, est encore plus… direct. C’est que les beaux discours sur l’indépendance des médias, c’est bon quand on est journaliste, voire même directeur. Mais quand on est LE Boss, on peut se lâcher. Toujours dans Télérama, on peut lire cet aveu : « Je ne suis pas un investisseur financier, je suis un investisseur industriel. Je dois donc avoir le contrôle de l’éditorial ». Le client, ajoute-t-il, « ce n’est plus seulement le lecteur, mais l’annonceur ».
Exactement l’inverse de ce que prétendait Mougeotte sur Europe 1. Quelles sont les qualités requises pour travailler au service de Bolloré ? L’une de ses anciennes salariées l’a confié à Télérama : « Ce n’était pas désagréable de travailler avec lui, dit une ancienne salariée à Télérama. Il est très intelligent, charmant, élégant. Simplement, il faut oublier d’être journaliste ». On ose croire que cet oubli puisse gagner des salariés du Figaro et d’Europe 1…
II. A la recherche du contre-pouvoir
Si Le Figaro est un journal de droite, si les médias de Vincent Bolloré lui sont inféodés, heureusement il reste des médias de gauche rebelles et subversifs, comme… Libération ! Vous souriez ? Vous avez tort, certains y croient.
Un contre-pouvoir de fréquentation ?
A commencer par Libé lui-même. Témoin, cette publicité :

Libération, le premier des contre-pouvoirs ? Pourtant… Pourtant, interviewé sur France Inter dans l’émission J’ai Mes Sources (22 octobre 2007), Laïd Sammari, journaliste à L’Est Républicain, auteur d’un article sur le divorce de Nicolas Sarkozy, a cette révélation : « Quand on est Parisien, on ne peut pas accepter l’idée que, dans une affaire aussi importante [le divorce des Sarkozy], aussi sensible, touchant au Président de la République, qu’un provincial vienne faire la nique. (…) Moi, à Libération, on m’a dit : « Mais, tu comprends, c’est pas possible. Nous, on les connaît tous à l’Elysée, on les voit tous les jours » ». Curieux argument (invoqué à propos d’une question subalterne, il est vrai…) qui suggère que pour certains journalistes de Libé le journalisme d’investigation se confond avec le journalisme de fréquentation.
Libération, contre le pouvoir… ou tout contre ?
Contre les pouvoirs ou tout contre ?
Au cours de l’émission « J’ai mes sources » (France Inter, lundi 22 octobre 2007, Albert Du Roy, auteur de La mort de l’information (Stock), nous en dit plus sur ce lien entre pouvoir et journalistes. Albert Du Roy est ancien directeur général adjoint de France 2 en charge de l’information, ancien rédacteur en chef du Nouvel Observateur, ex-journaliste à L’Express, Europe 1 et France Inter. On pourrait donc s’attendre de sa part à une certaine mansuétude. Et pourtant :
« D’une manière générale, explique-t-il, c’est vrai qu’en France, à l’égard des pouvoirs en général, du pouvoir présidentiel en particulier et du pouvoir de ce président-ci encore plus en particulier, il y a une prudence. Le mot prudence étant un euphémisme. C’est de la déférence ou c’est de la précaution ou c’est du calcul ou c’est de la connivence (…) C’est vrai que, dans le domaine politique, il y a une endogamie entre les journalistes qui couvrent la politique et les élus qu’ils devraient traiter d’une manière distanciée, que (…) c’est grave. Moi, j’en ai fait partie de ce système et donc je peux – avec la lucidité, peut-être, que donne le retrait – je peux dire à quel point c’est quelque chose qui peut aboutir, en matière d’information, à des conséquences graves. (…) Mais c’est vrai aussi dans tous les autres secteurs de l’information. Les connexions entre industriels et journalistes, entre fabricants de produits touristiques et les journalistes, entre restaurants et les journalistes gastronomiques, les connexions sont très nombreuses ».
« C’est ce système de connivence qu’il faut dénoncer, renchérit Pierre Haski, co-fondateur du site Rue89.com, invité lui aussi ce jour-là. Ce système de connivence, il est bien antérieur à l’apparition de l’internet. Il est à l’intérieur du système de l’information en France. Il y a plein d’autres exemples, dans son livre [celui d’Albert Du Roy], que tout le monde connaît. Pour essayer une voiture, on ne vous emmène pas, comme vous le racontez, dans le terrain d’essai du constructeur, on vous emmène aux Caraïbes ou au Mexique ou en Thaïlande, tous frais payés. Bon, l’objectivité du papier à l’arrivée est évidemment délicate. Et, tout ça, c’est un système qui touche l’ensemble de la chaîne de l’information. »
Connivence ou connivence ?
« Oui, et alors ? », se serait écrié Eric Zemmour s’il avait été là. Le chroniqueur d’On n’est pas couché a en effet expliqué dans l’émission de Laurent Ruquier (France 2, 10 novembre 2007) :
Eric Zemmour – « En fait, la connivence est un faux problème parce que… »
Jean-Marc Morandini, invité ce jour là : – « Pas dans l’esprit des gens ! »
Jean-Marc Morandini reconnaît, lui, qu’il y a un vrai problème de connivence, mais seulement dans l’esprit des gens. Zemmour en convient, mais à condition qu’on s’accorde sur le fait que « les gens » sont bêtes et n’ont rien compris.
Eric Zemmour – « Oui, je sais bien. Mais il faut leur expliquer. En fait, on peut être très copain avec un politique, on peut… On est des êtres humains et donc on peut bouffer ensemble, rigoler ensemble, parler du dernier match de foot, etc. et, après, sur un plateau ou dans un journal, poser des vraies questions, s’opposer vraiment. (…) C’est mon expérience personnelle ! ». Comme si cette dernière phrase pouvait l’aider à nous convaincre.
Alors d’où vient le problème de crédibilité des médias selon Zemmour ?
Eric Zemmour – « Je pense que les journalistes sont responsables de ça. C’est-à-dire qu’ils ont tellement réduit le champ d’expression (politique, idéologique), en clair ils sont tellement tous sur la même ligne à 90% – une espèce de gauche bien pensante – et ils disent tous la même chose, que les gens ne se reconnaissent plus en ce qu’ils di[sent]. Naulleau [son complice chroniqueur dans l’émission] dit très pertinemment : « Ils [les gens] refusent la médiation. » Mais parce que la médiation ne leur ressemble plus. Ce ne sont plus des médiateurs [les journalistes – Zemmour est parfois difficile à suivre] puisqu’ils ne disent pas ce que les gens pensent ».
« Le problème, finit-il par résumer, c’est quand tout le monde vit dans le même monde et qu’en plus on partage tous les mêmes idées ». Surtout quand ces idées sont de gauche !
Pour Eric Zemmour, le problème ce n’est pas la connivence, mais la connivence ! Ce n’est pas la fréquentation assidue, mais l’appartenance à un même monde. De gauche ? Là, on peut en douter…
Et si on informait ?
Et puisque les citoyens (les « gens », dirait Zemmour) ne se reconnaissent plus dans les médias officiels, en toute bonne logique, ils créent les leurs et prennent en main l’information.
C’est ce que découvre Edwy Plenel, frappé par un éclair de lucidité. Dans un document vidéo diffusé sur le site de « Médiapart », le futur média qu’il impulse sur Internet, Plenel diagnostique : « L’actuelle révolution industrielle – celle que symbolise le Net et qui est marquée par l’avènement du média personnel –, elle fait descendre le journaliste de son piédestal. Au fond, nous nous étions appropriés un pouvoir indu. Comme si l’opinion, le jugement, l’analyse, le point de vue c’était notre privilège. Eh bien non ! Les citoyens, là, maintenant, peuvent nous rappeler que la liberté d’expression, ça appartient à tout le monde. Alors, du coup, nous sommes devant un défi : nous sommes sommés de reconquérir un continent que nous avons un peu laissé en friche : l’information ». C’est en effet assez fâcheux, pour des journalistes, d’avoir « un peu » laissé l’information en friche….
Et si on critiquait les médias ?
Comment les journalistes pourraient-ils surmonter la méfiance qu’ils inspirent ? Peut-être en écoutant un peu certaines critiques des médias…Daniel Schneidermann, auquel il arrive d’être mieux inspiré, a trouvé une autre solution. Adepte des arts martiaux, il préconise aux médias de se servir de leurs propres faiblesses comme d’une arme. Sur le site d’Arrêt sur Images, le 17 novembre 2007, il explique : « Cette méfiance des acteurs d’un conflit social à l’égard des journalistes, toujours accusés de le caricaturer, de n’en retenir que les slogans et le superficiel, cette méfiance est vieille comme les conflits sociaux. Elle est parfois justifiée, parfois non, à chacun de se faire une idée en…écoutant et en lisant, ce que disent les journalistes, justement ». Conclusion : si vous faites confiance aux journaux, achetez-les. Si vous ne leur faites pas confiance… achetez-les quand même ! L’idée est séduisante ! Ecouter et lire les journalistes pour savoir ce qu’il convient de penser de la couverture médiatique des conflits sociaux ? Eux d’abord ? Eux seulement ? Leur laisser le monopole de la critique des médias et renoncer à celle qui, comme dit Plenel qui ne devait pas penser à nous, contribue à faire « descendre le journaliste de son piédestal ». … Du moins les journalistes qui s’étaient juchés dessus. Quant aux autres, ils aimeraient peut-être faire leur métier. En 2008, comme les années précédentes, Acrimed aidera les premiers à descendre et soutiendra les seconds.
Johann Colin et Yves Rebours
Grâce à la banque de données affectueusement recueillies par les associés d’Acrimed.
L’actualité des médias n° 63 (janvier – mars 2008)
Des ventes dopées par la campagne – La presse à l’ère de la performance – Une commission Copé pour la télévision publique – Le lobbying de TF1…
I. Presse écrite
1. Les ventes
- Lectorat – Tout le monde a voté cette année. Le lectorat des magazines est en hausse de 1,2% en 2007, comparé à la période juillet 2006-juin 2007. « A la faveur des élections présidentielle et législative » (Le Nouvel Observateur, 11 mars 2008), l’audience de la presse d’information s’est accrue de 4,2%, celle des quatre « news magazines » (Le Nouvel Observateur, Le Point, L’Express et Marianne) bondissant de 6,5%.
Le Nouvel Observateur reste leader et la plus forte progression est celle de Marianne (+ 34,9 %). D’après Le Monde (8 mars 2008), « le lectorat [aurait] apprécié son positionnement anti-Sarkozy. Le numéro de Marianne du 14 avril 2007 : « Le vrai Sarkozy, ce que les grands médias ne veulent pas ou n’osent pas dévoiler », s’est vendu à plus de 500 000 numéros. » Pour information, c’est le cas de le dire, « Le numéro du 14 février 2008 de L’Express, avec en couverture la première interview de Carla Bruni en tant qu’épouse du président, a battu un « record historique » de ventes » (CB News, 11 mars 2008).
Plus généralement, « l’actualité politique a dopé les ventes des journaux d’information. Certes, la bataille Ségolène Royal-Nicolas Sarkozy a intéressé les Français, mais c’est surtout « l’effet Sarkozy » qui a gonflé les ventes de journaux, estime Patrick Bartement, directeur général de l’OJD. « La campagne électorale, qui a démarré dès la fin de 2006, a créé un appétit de lecture et une volonté de décryptage », explique Eric Matton, directeur exécutif de L’Express. « En 2007, il y a eu environ 252 couvertures sur l’univers Sarkozy », précise M. Bartement. Et « l’effet Sarkozy » a fait vendre 110 millions d’exemplaires de plus en 2007« , ajoute-t-il. Les études ont été faites en comparant la moyenne des ventes de 1 000 magazines sur un mois, lorsqu’ils comportent des couvertures sur Sarkozy, par rapport aux ventes moyennes du mois ou de la semaine précédente. Ce qui représente 2,2 % de plus… sur la totalité des 5 milliards d’exemplaires de journaux vendus en une année. (…) Les deux numéros du Nouvel Observateur sur Cécilia Sarkozy, en août et en octobre 2007, ont enregistré des hausses de 35 % des ventes en kiosques, soit plus de 100 000 numéros. » (Le Monde, 8 mars 2008)
Avec des hausses de, respectivement, 8,59% et 10,28%, Paris Match (Lagardère) et VSD (Prisma Presse) sont aussi en bonne santé. Comme la presse people puisque la diffusion de celle-ci progresse de +8,62% en 2007. Closer (Mondadori) et Public (Lagardère) s’en sortent particulièrement bien : +19,75% et +18,44%.
La progression est moindre (+1,9%) pour les quotidiens. Au sein de cette catégorie, « 20 Minutes se place pour la deuxième fois en tête des quotidiens nationaux les plus lus (2,53 millions de lecteurs, +4,3%), suivi de Metro » (Le Nouvel Observateur, 11 mars 2008).
2. La presse quotidienne
Le Monde contraint à la performance pour sauver son indépendance. Une page s’est peut-être tournée au Monde avec le remplacement d’Alain Minc par Louis Schweitzer à la présidence du conseil de surveillance [1]. Mais les difficultés perdurent pour le groupe qui a encore perdu 20 millions d’euros l’année dernière. Si Éric Fottorino, nouveau président du directoire du groupe Le Monde, « se « refuse » à mener une stratégie de cession d’actifs même s’il peut y avoir des « arbitrages à la marge » » et a, en conséquence, « estimé que le plan d’économies, préparé par l’ancien directoire présidé par Pierre Jeantet, devait être « enrichi » et jugé que le groupe devait faire des économies « partout » » (CB News, 13 février 2008), les actionnaires font pression. Ainsi, Ignacio Polanco, dirigeant de Prisa qui détient 15% du Monde SA et qui souhaiterait prendre le contrôle du titre allié à Lagardère ; celui-ci a expliqué dans une interview au Financial Times, « La structure du Monde est très compliquée, mais s’il veut rester indépendant, il est d’une importance fondamentale qu’il commence à faire de l’argent » (CB News, 27 février 2008). Disposez [2]…
Et pendant ce temps, les actionnaires tentent d’imposer un plan de rigueur et de normalisation économique aux salariés du groupe, les dirigeants s’ébattent en toute indépendance. Bruno Patino, directeur du Monde Interactif et de Télérama, s’est ainsi vu confier une mission sur le livre numérique par la ministre de la Culture et de la Communication, Christine Albanel. Le même Patino figure en 21ème position sur la liste du maire sortant (ex-UDF) à Sceaux. En toute indépendance, évidemment : « Ça n’implique pas le journal et il est hors de question que ça l’implique » explique Patino à Bakchich.
Le Parisien s’occupe du pouvoir d’achat… Dans la première semaine de janvier 2008, Le Parisien a créé une nouvelle rubrique « pouvoir d’achat ». Le quotidien du groupe Amaury a de la suite dans les idées puisque, toujours début 2008, confronté à « la hausse du coût de la vie », il a augmenté son prix de 5 centimes après quatre ans et demi sans hausse. Motif : l’« indépendance a un prix » (5 janvier 2008). L’indépendance, toujours et encore…
Le Figaro vire (pas vraiment à gauche). Comme au Monde, c’est le temps de la rigueur [3]… Le comité d’entreprise du Figaro a sorti son expert dans le cadre du plan d’économies qui « prévoit notamment 60 à 80 départs volontaires » (CB News, 13 février 2008). Joliment baptisé « Ambitions 2010 », ce plan vise à placer le quotidien « en position de leader sur tous les domaines de son activité, papier comme web » et « désigne tous les services concernés (sauf la politique et l’économie), les personnes (critères d’âge et d’ancienneté) ». Il est jugé « discriminatoire » par les syndicats (CB News, 6 février 2008).
Les Echos et La Tribune ont changé de main (et de directeur en chef). C’est à la veille de Noël que le groupe LVMH a annoncé avoir acquis définitivement Les Echos, et cédé le titre concurrent La Tribune à Alain Weill (groupe NextRadioTV – BFM, RFM, 01 informatique). LVMH recapitalisera Les Echos pour environ 34 millions d’euros mais a vendu La Tribune pour un « euro symbolique » (CB News, 2 janvier 2008). Par ailleurs, dans un climat de « défiance », Erik Izraelewicz, qui dirigeait la rédaction des Echos a rejoint… La Tribune et dénoncé les « interventions du nouveau président du groupe Nicolas Beytout » [4] selon des participants » Pour CB News (13 février 2008), en cause, notamment : « une situation difficile liée à des vexations, humiliations, interventions de Nicolas Beytout [de retour après une immersion au Figaro] et du nouvel actionnaire ».
Translations capitalistiques (1). Cession par Lagardère du pôle de presse quotidienne régionale dans le sud de la France, qui pèse 222 millions de chiffre d’affaires, au groupe Hersant Média (GHM), le 20 décembre dernier. Soit, La Provence, Nice Matin, Var Matin, Corse Matin et Marseille Plus (un gratuit).
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Translations capitalistiques (2). Par ailleurs, le Groupe Sud Ouest (GSO) a finalisé – début janvier 2008 – l’acquisition des Journaux du Midi auprès du groupe Le Monde. L’accord porte sur la totalité de la participation que le groupe Le Monde détenait dans Midi Libre SA, soit 95,4% du capital (CB News, 2 janvier 2008). Le groupe La Dépêche du Midi qui pouvait exercer une option d’achat sur la moitié des actions achetées par GSO sous 60 jours n’est pas parvenu à se mettre d’accord avec GSO pour former « un projet de rapprochement et de coopération dans le cadre de l’axe Bordeaux-Toulouse-Montpellier » (CB News, 3 mars 2008). Les négociations continuent.
3. La presse gratuite
Des gratuits de plus pour les 15-35. Un manque enfin comblé ! Le journal L’Alsace lance un hebdomadaire gratuit Cit’in à Mulhouse qui cible les consommateurs de « 25-35 ans travaillant dans la ville ». Le Dauphiné libéré a également « dégainé », mais en trois coups avec Grenews.com : « A la fois un hebdomadaire gratuit sur l’agglomération grenobloise, un site et un journal télévisé quotidien en ligne ». Sans surprise, là aussi : « La cible visée est la tranche 15-35 ans » (Libération, 6 février 2008).
Des gratuits en plus. DirectMatin (ex- Matin Plus, depuis janvier 2008), le gratuit du Monde et de Bolloré, va être diffusé à Strasbourg, Toulouse et Nice. Bolloré, qui en assume les destinées exécutives, veut passer de « 400.000 à 450.00 exemplaires ». Selon l’homme d’affaires, il y aurait « un taux de prise en main de 100%, et dès 8 heures du matin, 80 à 90% des lieux de distribution sont vides. » Sans même compter le taux de prise en poubelles ? (CB News, 8 février 2008).
4. La presse magazine
Augmentation après conflit chez Prisma. Après une grève de quelques jours les salariés de Prisma Presse ont mis fin au « mouvement à la suite d’un accord avec la direction » qui prévoit « une augmentation collective » – (CB News, 19 février 2008.)
II Télévisions et radios
1. Financement de France Télévisions sans publicité – suite
Le Livre Blanc de TF1. Confrontée à l’effritement de son taux d’audience, TF1 a, révèlent Les Echos du 7 mars 2008, « remis un “Livre blanc” aux conseillers de l’Elysée et des ministères. Elle dresse dans ce document – bien différent du discours tenu en direction des marchés – un sombre tableau de sa situation ». Dans ce document, une série de revendications… dont la suppression de la publicité comme mode de financement de l’audiovisuel public, une demande ancienne et désormais prise en compte…
Une commission, ses missions. Pour préciser les modalités d’application de cette suppression mais aussi pour redéfinir le cahier des charges du service public audiovisuel, une commission a été mise en place le 17 février 2008. Elle sera « présidée par le chef des file des députés UMP Jean-François Copé, composée de parlementaires et de professionnels, […] chargée à la fois de « proposer une nouvelle identité » pour le service public audiovisuel, de faire des propositions sur les missions des différentes chaînes du groupe France Télévisions et de proposer les « modalités de financement » de cette nouvelle télévision publique. La commission devra rendre ses conclusions avant la fin du mois de mai ». (CB News, 18 février 2008). En attendant, la ministre de la Culture et de la Communication, Christine Albanel, s’est fendue, le 26 février 2008 d’une lettre, adressée à la direction de France Télévisions, « confirmant les engagements de l’Etat pour une compensation euro pour euro des pertes publicitaires dès 2008 et le principe d’une dotation en capital » (CB News, 27 février 2008).
La réalité du manque à gagner. C’est-à-dire ? Le 28 février 2008, France Télévisions Publicité annonçait « un chiffre d’affaires de 786 millions d’euros sur 2007 ». Par ailleurs, selon un rapport de la Cour des comptes, la réforme de la redevance a « généré une économie de 100 millions par an, mais seule la moitié du bénéfice est revenu au service public. ». La juridiction met en garde « l’absence de revalorisation du taux de la redevance érode les ressources de l’audiovisuel public, et pourrait faire peser un aléa à terme sur son financement par la redevance » (CB News, 31 janvier 2008).
Une « modernisation des structures » ? À ne pas oublier : dans le même temps, à France Télévisions, se déploie la « modernisation des structures engagé depuis des mois par Patrick de Carolis » (Le Figaro, 16 janvier 2008), c’est-à-dire « huit chantiers visant à mutualiser certaines fonctions communes aux chaînes » et qui, selon l’AFP (28 février 2008) pourraient avoir pour conséquence « le départ de près de 10% des effectifs de France Télévisions. » Une information « démentie « catégoriquement et avec la plus grande fermeté » par la direction. » (CB News, 29 février 2008).
Radio France et les surcoûts de son déménagement. On l’oublie peut-être : la radio est aussi concernée. De fait, se demande Le Figaro (17 janvier 2008) : « Radio France devra-t-elle assumer ces dépenses supplémentaires au détriment des activités radio et des personnels ? La menace sur l’activité et les emplois est très forte ! » Les recettes publicitaires de la radio publique s’élèveraient à 45 millions d’euros.
2. Pendant ce temps, du côté de l’audiovisuel extérieur
Une entité entre de bonnes mains… Création d’une holding, le 19 févier, qui détiendra le contrôle de RFI, TV5 et de France 24. Son nom : France Monde. Alain de Pouzilhac (ex publicitaire et président de France 24), est chargé de la créer. Il sera assisté dans cette « tâche par Christine Ockrent, qui est nommée directrice générale » (Le Figaro, 20 février 2008).
Crédibilité, conflit d’intérêt et licenciements. Concernant la nomination (annoncée par l’Elysée) de Christine Ockrent [5], son époux, Bernard Kouchner, incidemment ministre des Affaires étrangères estime « que ça se passera très bien » (France Inter, 3 mars 2008, Le 7-10). Ce n’est pas l’avis de l’Intersyndicale citée par L’Humanité (le 10 mars 2008) : « Tout est en chantier, nous dit-on. La structure capitalistique (serait étudié le désengagement de TF1 du capital de France 24), le pilotage (France Monde serait rattachée à Matignon sans que ne soient remises en cause les tutelles de Bercy, du Quai d’Orsay et de la Culture)… Le plus inquiétant, c’est qu’à aucun moment, alors que le but affiché est de renforcer l’audiovisuel extérieur, on ne nous parle de ce qui est le cœur de nos métiers, à savoir l’information. La seule chose qui compte, c’est de rassembler des entités qui n’ont rien à voir entre elles pour qu’elles travaillent ensemble ».
Idem pour les suppressions d’emplois… « Selon le rapport des conseillers de l’Elysée sur l’audiovisuel extérieur, dont Les Echos ont eu copie, La réforme pourrait entraîner la suppression de quelque 180 postes, soit une réduction de 10% des effectifs des trois entreprises concernées. » (CB News, 28 février 2008)
Du mépris pour les partenaires ? Par ailleurs, les partenaires extérieurs au sein de TV5 Monde (Canada, Québec, Belgique et Suisse) craignent que cette « réorganisation » menace « l’existence de ce média unique au monde » et demandent assez fermement à ce que celle-ci demeure « “un projet commun” de la Francophonie » (Le Monde, du 25 février 2008).
3. Les chaînes privées au milieu du gué
Fragmentation. TF1 et M6 perdent des parts de marchés en audience (tandis que France 2 et 3 se stabilisent) a calculé l’institut Médiamétrie lundi 3 mars 2008 : « soit 28,5% pour la chaîne de Bouygues, 18,3 et 13,2% pour les chaînes publiques et 10,7 % pour celle de Bertelsmann ». La TNT est en hausse à 10, 1% (Nouvelobs.com, 3 mars 2008).
TF1 essaime. Pour rassurer les actionnaires et les investisseurs, le directeur général de TF1 Nonce Paolini promet aux analystes une progression de plus de 2,4% du chiffre d’affaires qui passent par une « réduction des coûts » (des programmes, des droits, des contrats), un « nouveau projet éditorial pour l’information de TF1 [qui] doit être multicanal » et « des nouveaux médias placés au cœur de l’offre », c’est-à-dire un développement sur le web 2.0, le commerce électronique et la mise en place d’une nouvelle régie publicitaire pour les activités Internet– (CB News, 21 février 2008).
Canal Plus se recentre. Jean-Bernard Levy, le président du directoire de Vivendi indique, pour sa part, que l’ « objectif majeur » de sa stratégie est désormais de se renforcer dans les activités dont il n’a pas le contrôle total comme SFR (SFR revendique plus de 350 000 abonnés à une offre de TV mobile 3G/3G+) et Canal Plus.
M6 se consolide. M6 Editions qui détenait 50% de Femme en Ville depuis mars 2006, vient d’acquérir la totalité du capital du magazine gratuit. Dans la même logique de diversification « cross-médias », la chaîne, selon Les Echos, a « confirmé être en “négociations exclusives” pour racheter le groupe Internet Cyréalis, ce qui lui permettra d’“entrer dans le Top 15 des sites les plus consultés” » (11 mars 2008).
La main dans le sac. Le CSA tance « TF1, M6, Direct 8, TMC, I-Télé et NT1 après avoir relevé sur ces chaînes “des pratiques contraires aux dispositions réglementaires relatives au parrainage”. Parmi ces pratiques, le CSA cite notamment la “visualisation du produit”, l’ “utilisation de slogans publicitaires” et l’ “incitation à l’achat” » (CB News, 9 janvier 2008).
4. Autres informations …
Droits sportifs. Dès la vente, le 6 février 2008, par la Ligue de football professionnel (LFP) au groupe Canal Plus (et à Orange) de l’ensemble des droits audiovisuels de la Ligue 1 de football pour la période 2008-2012 (668 millions, un montant que même la ministre de la Communication a jugé « hallucinant »), signant la mort de Téléfoot sur France 2, des craintes ont été exprimées. Canal Plus priverait-elle les non abonnés des images des buts du week-end ? Mettant fin au suspense, le patron du groupe Bertrand Méheut a annoncé la diffusion en clair d’une partie du magazine dominical consacré à la Ligue 1 pour la saison prochaine. Et donc, « en clair », celle de quelques pages de pub.
Croissance externe.com. Le 22 février 2008 Lagardère Active Digital acquiert 53,3% du capital du site Doctissimo, positionnant la filiale du pôle médias du groupe Lagardère, au 1er rang des sites Internet pour les contenus féminins en France (6,4 millions de visiteurs uniques par mois). Une acquisition, « qualifiée de « structurante » » (CB News, 25 février 2008) qui permet à Lagardère d’améliorer significativement sa position sur le Web dans la compétition qui l’oppose, notamment, à TF1.
Télévision mobile personnelle TMP, candidatures et ambitions. Parmi les 32 projets de chaînes, le CSA doit en retenir 13. Parmi les impétrants : Lagardère Active ; TF1 ; M6 ; NextRadiotTV, Les Echos, Amaury, Orange (CB News, 17 janvier 2008). Certains se sont d’ailleurs fédérés. Ainsi M6 Mobile va proposer à ses clients 6 chaînes qui seront diffusées sur le réseau 3G d’Orange, « en direct et en illimité, sans supplément de prix » car « C’est pour nous la mise en place concrète de la télévision mobile personnelle (TMP) ». Il s’agit, selon Nicolas de Tavernost, le Pdg de la chaîne, « d’ « habituer » les clients à regarder la télévision sur mobile » (CB News, 6 mars 2008).
TNT en région, candidatures et lancement. Plus vite… Huit dossiers ont été déposés au CSA pour des télévisions locales en mode numérique sur les zones de Brest, Strasbourg, Saint-Etienne, Nice, Menton et Montluçon : « TL7, présentée par SAEM Loire Télé pour Saint-Etienne, de Télé Haute Bretagne (Télé Pays SAS pour Brest), de CanalOuest (CanalOuest pour Brest), de Nice Télévision NTV (Association Nice-Télévision pour Nice), de Télévision Sans Frontières (TVSF, Association Télévision sans Frontières) pour Nice et Menton, de Cap Nice-Menton (Cap Nice-menton SAS) pour Nice et Menton, de Clermont/1ère (Société clermontoise de Télévision pour Montluçon) et de A.Télé (A. Télé pour Strasbourg) » (CB News, 23 février 2008). Pour l’Ile-de-France, les jeux sont faits. Les chaînes de Hersant Média, de NRJ Group et – cantonnées à un même canal – les quatre associatives (dont Télé Bocal), adoubées par le CSA, seront lancées sur les ondes le 20 mars 2008.
Des lacunes de l’éducation à la consommation. Déjà 15 millions, soit : « 46,5% des foyers français sont équipés pour recevoir la télévision numérique (TNT, ADSL, câble ou satellite) » selon TDF (principal diffuseur français). En revanche, et malgré la communication du gouvernement sur la nécessité de se préparer, seuls 27,1% des foyers sont « numérisés » et « 65% des Français déclarent « ne pas être au courant » de l’extinction à venir de la télévision hertzienne analogique, prévue fin 2011 » (CB News, 21 février 2008).
Les coulisses de la diffusion. Les protagonistes de la diffusion s’agitent. Le groupe NRJ a choisi de dégager un peu de trésorerie en ouvrant « le capital de sa filiale de diffusion, Towercast, dont il n’exclut pas de devenir minoritaire » (CB News, 29 février 2008).
Fin décembre, le fond américain Carlyle a, de son côté, racheté la moitié de la participation de Cinven (un autre fond) dans Numéricâble, le fournisseur d’accès et diffuseur (1 milliard d’euros). Cinven et Carlyle détiennent donc désormais chacun 35% du capital du câblo-opérateur. Le fait qu’il soit en « quasi-faillite » (Le Monde du 15 mars), du fait de la crise des subprimes, ne refreine pas Carlyle qui est par ailleurs, « candidat à la quatrième licence de téléphonie mobile ». (CB News, 2 janvier 2008).
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[1] Pour un résumé des épisodes précédents, lire « Les nouveaux maîtres du Monde. En attendant Lagardère ? ».
[2] Et voici qu’en écho (Lagardère Arnaud) de préciser dans Le Figaro du 13 mars « Le pouvoir éditorial ne m’intéresse pas, je veux un pouvoir économique. »
[3] Cette logique est aujourd’hui à l’œuvre dans la plupart des groupes de presse. En PQR, on peut ainsi citer le cas du groupe Ebra. Lire ici même : « Offensive contre les journalistes du groupe Ebra (SNJ et SNJ-CGT) ».
[4] « »une situation difficile liée à des vexations, humiliations, interventions de Nicolas Beytout [de retour après une immersion au Figaro] et du nouvel actionnaire », LVMH »
[5] Lire ici même « Christine Ockrent, le poids des euros, le choc des questions ».